Le monstre en dessous
par David Lefebvre
Lors du plus récent Café Casteliers, Antoine Touchette était venu nous entretenir de la plus récente création de Le Bureau – Firme théâtrale, soit L’Hommencolère. Adaptée d’un livre norvégien de l’auteure prolifique Gro Dahle – Touchette, tellement inspiré par l’oeuvre, a traduit lui-même le texte, non sans heurts -, cette pièce aborde un sujet pratiquement tabou dans le milieu du théâtre jeune public, la violence d’un parent.
Boj vit dans une famille on ne peut plus normale. Il joue avec sa maman, son papa lui fait des cadeaux, mais Boj sait qu’au fond de ce père aimant, aux mains immenses et aux jointures rouges, vit un être monstrueux qui monte les marches parfois et fait disparaître son père adoré. Le jeune garçon culpabilise, se demandant bien ce qu’il peut faire pour provoquer cette créature des ténèbres. Un jour, alors qu’un chien du voisinage l’amadoue, il réussit à se confier à lui, et raconter enfin ce terrible secret, un fardeau qui lui coupait la gorge. Un arbre le convainc même de parler, ou d’écrire une lettre.
Texte sombre et lumineux à la fois, L’Hommencolère fait l’apologie de la communication : en se confiant, le petit permet ainsi à son père de trouver l’aide dont il a besoin et de ne plus subir les affres et les tourments de la violence. Quelques détails de la mise en scène enrichissent le spectacle, telle la séparation physique de l’espace du père (un fauteuil sur une table carrée rotative) et de la mère et du fils (une autre table). Antoine Touchette atteint la cible de magnifique façon en utilisant deux médias inspirants et évocateurs, tout en étant ludiques et accessibles, soit la marionnette et le théâtre d’ombres. La compagnie a eu l’immense chance de travailler avec deux sommités en ces domaines. Si les marionnettes d’Isabelle Chrétien sont superbes et se manipulent avec aisance par Vania Beaubien, Zack Zraser et Antoine Touchette, qui occupe aussi le rôle du narrateur, le réel élément de surprise vient du travail magnifique des ombres, de Clea Minaker, qui, grâce à de simples effets de lumière, provoque différentes émotions et images marquantes, du monde des rêves jusqu’au cauchemar. La scéno de Marzia Pellisier vient appuyer de judicieuse manière ce théâtre d’ombres grâce à de jolis murs-écrans.
Si, à la toute fin, le public peut se poser de multiples questions, dont la réelle identité de ce roi qui vient chercher le père pour le conduire dans un endroit où il pourra s’occuper de lui et de ses démons (policier? ambulancier?), on se rend vite compte qu’il est inutile de chercher bien longtemps, puisqu’il n’est que la représentation positive de la conséquence de la confession du jeune garçon.
Souhaitons un avenir brillant à cette toute nouvelle création ; qu’elle puisse être vue par une grande majorité d’enfants qui y trouvera de quoi réfléchir, et qui sait, le courage de se confier.
Présenté à la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal les 26 et 27 avril 2013.
Lien vers Le Bureau firme théâtrale
Lien Wikipedia vers Gro Dahle
Vidéo réalisée à partir du livre (d’Anita Killi, à voir) Filmarkivet