Québec en toutes lettres – seconde partie
Québec en toutes lettres, foisonnant festival de littérature, continuait cette semaine à proposer plusieurs intéressantes activités. MonTheatre a assisté à deux d’entre elles. Comptes-rendus.
Seconde partie : Dernier demain et Oeuvres de chair
Dernier demain, 16 octobre
C’est au complexe Méduse que l’on convoquait le public à (ré)entendre les mots d’un des plus récents textes de l’auteur Daniel Danis, Dernier demain, un impromptu (courte pièce rédigée sans préparation) exclusivement écrit pour le comédien Roland Lepage. Dernier demain met en scène, tout près d’une cabane dans une forêt imaginaire, deux personnages, un vieil homme et un homme à la chair brûlée, qui sont en fait la même personne à différents moments de leur vie, réunis dans le même espace-temps. L’homme(s) s’interroge sur sa situation, celle de n’être rien, un « riendien » comme il dira, pris dans son exil intérieur. Revisitant les douleurs de son enfance, que l’homme brûlé, auteur à succès, a vampirisées pour son art, et les moments plus doux, comme cette jeune amante rencontrée en pleine manifestation, le personnage âgé recoud et panse la vie de l’auteur qui tente de voir une éclaircie dans ce mal qui l’accable.
Auteur, entre autres, des pièces Cendres de cailloux (Masque du meilleur texte original), Le langue-à-langue des chiens de roche (prix du Gouverneur général du Canada en 2002), Le chant du Dire-Dire, et autre Terre Océane, Daniel Danis propose un texte dense, aux longues phrases poétiques, jouant sur plusieurs niveaux de langage et de compréhension. L’exercice se veut ainsi une excursion dans le processus de création et du thème de l’exil, sujet cher à l’auteur.
Roland Lepage (le Monsieur Bedondaine de La Ribouldingue) commence la lecture d’une voix froide, plaçant la scène, énonçant les didascalies. Puis, l’homme de 86 ans s’imprègne du personnage ; sa voix s’emporte, s’échauffe. Les images se bousculent, la poésie danse et frappe droit au coeur.
La musique en direct du guitariste Marc Vallée vient épauler avec une grande justesse quelques moments phares de ce monologue multiple de Danis.
Oeuvres de chair, 18 octobre
Activité très courue du festival, Oeuvres de chair, déjà rendue à sa cinquième édition, occupait le TRYP Québec Hôtel PUR du quartier St-Roch. Cet événement littéraire unique se présente sous deux aspects : d’abord, la rencontre en format speed dating ou tête-à-tête avec un écrivain, puis la visite de chambres devenues univers uniques d’acteurs, d’auteurs et de poètes.
Tentatives de séduction
Sur la liste des écrivains prenant part à la première partie de l’activité, MonTheatre a pu rencontrer Maude Déry (avec qui l’on a discuté de l’immense Daniel Pennac), Pierre Gagnon (qui nous a raconté l’histoire qui se cache sous la couverture de sa plaquette 5-FU et son affection pour Sylvain Tesson), Mélissa Verreault (qui nous a charmés en nous racontant l’histoire de son plus récent roman, L’Angoisse du poisson rouge), Stéphane Dompierre (qui nous a présenté son plus récent travail, un collectif de textes érotiques inédits d’auteurs connus), Charles Leblanc (un poète du quotidien habitant au Manitoba depuis les années 80) et Richard Ste-Marie (auteur de romans policiers édité chez Alire, amateur de Ellroy et Mankell). Les autres écrivains étaient Daniel Grenier, Marie LeGall, Élisabeth Lepage-Boily, Sophie Létourneau, Judy Quinn et Matthieu Simard. Belle idée cette année, à la sortie de la salle, les festivaliers pouvaient se procurer les livres des auteurs.
Rendez-vous clandestins
Direction les ascenseurs pour assouvir notre côté voyeur en visitant les chambres des auteurs invités : si le temps ne nous a pas permis de découvrir ce que nous réservaient les Mathieu Arsenault, Daniel Canty, Bertrand Laverdure, Gabriel Robichaud et Catherine Voyer-Léger, nous avons tout de même pu expérimenter poésie, lecture militaire et déclaration d’amour.
La Franco-Ontarienne Tina Charlebois, après quelques courtes lectures de ses poèmes, a demandé aux festivaliers de s’approcher de la fenêtre et d’observer, comme elle le fait elle-même pour s’inspirer, la faune bigarrée de la rue St-Joseph. L’exercice fut très intéressant, devenant alors une création poétique spontanée, sur le thème d’une date solitaire au Café Céramique.
Dans un décor tout ce qu’il y a de plus militaire, soit tente kaki, radio et camouflage, Roxanne Bouchard nous a offert une lecture de son prochain projet Racontez-moi la guerre, un docu-fiction qui se base sur les souvenirs de militaires de la base de Valcartier. Lors de cette lecture rapide et intense, on sombre avec les soldats de Coyotes (Jeep de l’armée) dans une embuscade en plein désert. Saisissant.
L’auteur de bande dessinée Estelle Bachelard, dit Bach, propose de son côté une expérience beaucoup plus ludique, nous offrant la chance de créer une case d’une BD à partir seulement des informations de celle qui la précède. Accompagnée de Nicolas Jobin à la musique comico-éclectique (faisant pouffer de rires autant les festivaliers que l’hôtesse par ses paroles improvisées), Bach s’exécute sur Photoshop à la vue de tous et toutes, dévoilant ainsi une part de son travail au quotidien. Si la possibilité de poser des questions était présente, il manquait un brin d’interaction à ce tableau pour réellement apprécier le travail et la personnalité de l’auteure.
Stéphanie Pelletier a su assurément nous émouvoir et nous émerveiller avec la lecture d’un spectacle littéraire en chantier. Debout devant des robes à pois suspendues, entourée de dentelle, elle relate sa vie comme elle la rêve et la vit, revenant sur cette troisième fausse couche d’un petit être qu’elle surnommait affectueusement Petit Pois. Touchant, sympathique, vrai, l’univers de Stéphanie Pelletier a ébranlé plusieurs spectateurs ; on attend avec impatience des nouvelles de ce prochain spectacle.
Finalement, c’est enfermés dans une salle de bains que se termine notre tour des chambres, en compagnie du comédien Steve Gagnon. Assis dans un bain moussant, il déclare son amour à celle qui a la chance d’être assise sur la toilette tout près de lui – donnant au titre de l’événement tout son sens! Verre de mousseux à la main, l’homme plonge son regard dans celui de l’heureuse élue et clame son amour en une prose vertigineuse – un moment qui en a sûrement fait fondre plus d’une. On aurait même entendu, dans un corridor, l’une d’elles confesser sa déception de ne pas avoir été seule dans la salle de bains avec lui ! Création exclusive pour le festival, peut-être aura-t-on la chance de lire ces mots dans un prochain recueil ou de les entendre lors d’un prochain événement.
Cette cinquième édition d’Oeuvres de chair fut assurément l’une des plus réussis et des plus intéressantes, prouvant encore une fois par son audace et son désir de faire découvrir au public des auteurs de façon différente et amusante la pertinence de son existence.
À l’an prochain !