Par Daphné Bathalon

Les amateurs de théâtre de la région de Montréal peuvent se réjouir de l’année exceptionnelle (dite « de la consécration ») que les organisateurs du Zoofest disent avoir connue. La nette augmentation de la fréquentation des salles pour ce festival nous fait espérer que la scène théâtrale estivale ait de bonnes années devant elle.

Pour sa 4e année, le Zoofest a invité de nombreux artistes du domaine de l’humour, de la musique, du conte et du théâtre, en plus d’accueillir à nouveau quelques-uns des créateurs qui avaient fait le succès des précédentes éditions. On retrouvait ainsi Fabien Cloutier, venu présenter sa nouvelle pièce, Sacrifice!, qui a cependant reçu un accueil mitigé. On retrouvait également l’équipe derrière Clotaire Rapaille, l’opéra rock, créée en 2011 à Québec. Désireux de poursuivre dans la même veine, Guillaume Tremblay, Olivier Morin et Navet Confit offraient cette année L’assassinat du président, une production qui a bien fait parler d’elle dans les médias avant même sa première représentation. La pièce, qui devait initialement s’intituler L’assassinat de Gilles Duceppe avant de changer de nom pour éviter la controverse, a été si populaire qu’une supplémentaire a été ajoutée au calendrier. La programmation théâtrale du Zoofest tire honorablement son épingle du jeu, bien qu’elle n’attire pas les foules comme le font les spectacles d’humour ou de musique.

Le temps m’étant compté, je n’ai assisté qu’à deux spectacles : L’assassinat du président (car après avoir vu l’opéra-rock l’année dernière, je n’ai pu résister à l’envie de renouveler l’expérience) et Mon frère est enceinte, au titre bien intrigant.

© www.ZOOFEST.com

L’une comme l’autre ont un côté ludique très présent dans la scénographie. L’assassinat du président adopte la forme d’un studio de bruitage : des items de toutes sortes servent à reproduire en temps réel les bruits suggérés par le récit, à la manière de l’émission À la semaine prochaine (ou de radio-romans). Verres cassés, robot culinaire, balai et même pot de yogourt, tous les moyens sont bons pour reproduire les bruits. L’ensemble du décor de Mon frère est enceinte se dessine quant à lui en traits de craie sur tableau noir. La ville s’esquisse en quelques lignes et la silhouette du mont Royal, reconnaissable entre toutes, surplombe cette ville réduite à sa plus simple expression, ses rues.

L’assassinat du président, plus social, aborde de front le paysage politique et culturel québécois. La pièce a habilement recours aux éléments historiques et aux figures marquantes de notre société (Gabriel Nadeau-Dubois, Stéphane Gendron,  Pauline Marois, Serge Postigo, Biz et bien d’autres trouvent leur place dans le récit). L’assassinat du président, prix Coup de cœur des Médias 2012 au Zoofest, prend la forme d’un conte futuriste. Les créateurs brodent à leur manière sur l’actualité québécoise pour imaginer ce à quoi elle ressemblerait dans un futur proche. À la fois politique et férocement sarcastique, la production dresse le portrait d’un Québec désenchanté. En 2022, la province est en effet épuisée par des référendums à répétition ou le clan du « Peut-être » semble bien plus pesant que celui du « Oui » ou du « Non ». Un homme tente de faire changer les choses. Revenu d’un long exil en Suisse, Gilles Duceppe désire reprendre le combat pour le Québec et devenir le premier chef de ce nouvel État.

Le concepteur sonore Navet Confit, et les comédiens Olivier Morin, Guillaume Tremblay, Mathieu Quesnel et Catherine LeGresley incarnent tous les personnages (et même le chien de Gilles Duceppe!) de cette rocambolesque histoire avec un malin plaisir, caricaturant les défauts et les qualités de tout le monde. Parfois méchants, mais toujours jouissifs, les traits d’humour sont parfaitement bien envoyés. Même le personnage principal, présent dans la salle au soir de la première, semblait avoir beaucoup apprécié l’interprétation d’Olivier Morin. Comme ils l’avaient fait pour Clotaire Rapaille – l’opéra rock, les créateurs soulèvent avec cette production l’enthousiasme d’un public conquis par leur humour épicé à saveur politique.

© Susan Moss

Mon frère est enceinte, plus intimiste, adopte pour sa part le ton du récit personnel. La pièce s’attarde davantage à la question d’identité : identité sexuelle, pression familiale, précarité financière, rêves, figure maternelle et relations fraternelles. En une courte heure, l’auteure et comédienne Johanna Nutter raconte comment l’improbable a pu se produire : comment son frère est devenu le premier homme enceinte au monde. Enfant d’une famille complètement dysfonctionnelle, Johanna a toujours été le pilier maternel, tant pour sa mère que pour sa petite sœur. Pas étonnant que les deux filles cherchent à trouver ou retrouver leur véritable identité, l’une en changeant de sexe, l’autre en tentant de vivre sa vie pour elle-même et non plus pour les autres. L’humour et le style volontairement décontracté du texte rendent le spectacle des plus agréables. La comédienne incarne son personnage avec beaucoup de sincérité, si bien qu’à la fin de la représentation, la curiosité pousse certains spectateurs à demander si cette histoire est vraie. Johanna Nutter, conteuse hors pair, nous donne l’impression d’être attablé seul avec elle dans un café et de l’entendre nous raconter personnellement son histoire.

(Lire ici la critique de mon collègue David Lefebvre)

Tagged: , , , , , , , ,

Leave comment