par Sara Fauteux

Du 18 au 23 novembre, l’Usine C ouvrait ses portes à plus d’une dizaine d’artistes néerlandais de différentes disciplines. Une occasion précieuse pour les amateurs d’art vivants de Montréal, qui ont trop peu souvent l’occasion de voir des productions étrangères en dehors du FTA. Au programme : une installation, cinq projections, une performance, trois spectacles de danse, une pièce de théâtre, en plus d’ateliers et de discussions avec des artistes néerlandais. Un événement rare et exclusif où le public a pu entrevoir la liberté, l’insolence et l’engagement qui caractérisent la création des Pays-Bas à travers quelques œuvres majeures de la scène néerlandaise.

Ivo van Hove
Ivo van Hove

La semaine s’est ouverte avec une rencontre entre le metteur en scène québécois Martin Faucher et le metteur en scène Ivo Van Hove qui dirige depuis 2001 le Toneelgroep Amsterdam, la plus grande compagnie théâtrale des Pays-Bas. Durant cet échange, il a été question des nouvelles politiques néerlandaises qui ont entrainé la fermeture de plus d’une vingtaine de centres dédiés à la relève, de la modification du mandat des différentes compagnies à la suite de ces changements, dont des programmes de formation de jeunes metteurs en scène, et de la structure générale du paysage artistique et culturel néerlandais.

Alors que l’automne montréalais a été ponctué de différentes réflexions sur le milieu théâtral québécois et son avenir, notamment avec le colloque du Conseil Québécois du Théâtre et la publication d’un dossier intitulé « Horizon incertain du théâtre québécois » dans la revue Spirale,  il était indispensable de profiter de la perspective de cet intervenant majeur de la scène théâtrale néerlandaise pour continuer la réflexion autour de ces questions épineuses et centrales. À la fin de cet échange qui portait principalement sur les questions de financement, le metteur en scène d’origine flamande a tout de même abordé brièvement son rapport aux auteurs classiques et contemporains, à la relecture des œuvres et son intérêt pour l’adaptation de scénarios cinématographiques sur les scènes de théâtre.

La discussion s’est terminée par la projection de Bloot / Exposed, un film de Paul Cohen et Martijn van Haalen sur le processus de création du spectacle de Van Hove d’après le film de John Cassavetes, Husbands.

Crédit photo : Institut Néerlandais
Crédit photo : Institut Néerlandais

 

 

 

 

 

 

 

 

Co(te)lette
Co(te)lette

Les découvertes les plus intéressantes de cette semaine néerlandaise se trouvaient décidément dans les productions en danse. La pièce Co(te)lette, de la grande chorégraphe  Ann Van den Broek, valait à elles seules un détour par l’Usine C. Ce spectacle d’une grande puissance met en scène trois femmes déréglées par le désir dans un environnement visuel et sonore hautement intéressant. La chorégraphie exigeante et complexe de Van den Broek présente des moments profondément troublants autour de la sexualité et de l’énergie féminine.

Ann Van den Broek est une artiste importante et immensément prolifique de la scène des Pays-Bas. Formée comme danseuse au Rotterdam Dance Academy, elle a travaillé comme interprète en Europe et aux États-Unis pendant de nombreuses années avant de se consacrer à la chorégraphie en 2000. Son travail aborde des thèmes comme la compulsion, le fanatisme, la résistance et la passivité ; la chorégraphe dit s’intéresser aux comportements humains, aux états d’esprit et aux impressions.

En parallèle à ce spectacle impressionnant, l’Usine C proposait également la projection du Co(te)lette Film une brillante adaptation cinématographique de la chorégraphie Ann Van den Broek par le réalisateur anglais Mark Figgis.

Sweet Baby Sweat
Sweat Baby Sweat

Deux autres spectacles de danse ont été retenus dans la programmation de Danièle de Fontenay : Sweat baby sweat et A small guide on how to treat your lifetime companion du danseur et chorégraphe Jan Martens. Dans les deux cas, ces productions présentent un couple dont on explore la relation symbiotique. Ces chorégraphies minimalistes dans lesquelles le spectateur a accès à l’énergie puissante de ces corps amoureux sont d’une grande sensibilité. Elles révèlent autant l’attirance et le désir que la tension qui émergent de l’intimité des corps.

Après avoir travaillé comme danseur pendant plusieurs années, notamment pour Ann Van den Broek, Martens commence à développer son propre travail chorégraphique et 2009. Rapidement, il est acclamé par la critique et le public, et son travail est largement diffusé aux Pays-Bas et en Belgique. Depuis leur création en 2011, les deux love duets signés par le jeune chorégraphe ont été joués plus de quarante fois et continuent de voyager aux Pays Bas comme à l’international.

Le travail de Martens se situe à la fois dans le concept et dans la narration. Il ne cherche pas à développer un nouveau langage du corps, mais plutôt à reprendre des axiomes chorégraphiques et à les réutiliser afin de les révéler différemment. Le travail de Martens ne se situe pas dans une recherche de virtuosité et de complexité du mouvement, mais plutôt dans la simplicité et la puissance du corps en scène. Sweat baby sweat et A small guide on how to treat your lifetime companion sont deux pièces qui traduisent complètement la puissance de cette démarche.

Parmi cette impressionnante programmation néerlandaise de l’Usine, un seul spectacle de théâtre : Freetown, de la compagnie amstellodamoise Dood Paard. En outre, cette pièce n’était pas tout à fait à la hauteur des attentes. Sur une scène ensevelie sous les cannettes de toutes sortes, trois femmes en vacances dans une sorte de Club Med africain présentent un portrait troublant non seulement de notre relation au tiers-monde, mais aussi du désespoir des sociétés postcoloniales. Dans ce club vacances, elles sont venues se reposer et oublier leurs existences vides, mais aussi profiter de rencontres sexuelles avec les hommes du pays qu’elles considèrent pratiquement comme des cocktails qu’elles s’enfilent au bar.

Freetown
Freetown

Si l’une d’entre elles a l’innocence de croire que ces rencontres sont réelles et signifient quelque chose, les deux autres sont dans un cynisme et un désespoir total. Cette pièce, qui s’inspire du film Vers le sud de Laurent Cantet, réussit à exprimer le rapport trouble qu’entretiennent ces femmes avec la culture africaine et à questionner l’émancipation sociale et sexuelle dans nos sociétés gouvernées par l’oppression et le désespoir. Pourtant, on se lasse rapidement de leur discours simpliste qui ne s’incarne qu’à travers la caricature. De plus, on se demande comment s’incarne le jeu performatif des comédiennes et en quoi il sert le propos.

En plus des ces spectacles, la semaine néerlandaise de l’Usine C présentait une installation photo et vidéo de Leonard Bedaux et Jeroen Opstelten intitulée Animaux. En plus de Bloot / Exposed et The Co(te)lette Film, on a également pu voir au cours de cet événement les projections des films Love-ism de Mor Chani et Paul Sixta et Appearance de Jelena Kostic. Finalement, les amateurs de musique ont pu profiter de l’expérience unique de Air Sensible, une œuvre musicale et spatiale des compositeurs Rob Van Rijswijk et Joeroen Strijbos.

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