par David Lefebvre

L’été, c’est fait pour jouer, comme l’écrivait si bien Pierre F. Brault pour une jeunesse seventies devenant de plus en plus friande du petit écran. Pourtant, l’homme avait raison : pendant que les enfants courent, crient, rient, roulent et tombent, les adultes profitent du beau temps pour penser, enfin, à autre chose que le travail. Mais qui dit jouer, dit aussi théâtre… Alors que les rayons chauds de Galarneau font naître le sourire sur les visages les plus récalcitrants, les comédiens des grandes villes s’évadent  aux quatre coins de la province pour divertir une clientèle de plus en plus avertie, exigeante et critique face à ce qu’on leur propose.

La saison estivale était aussi, pour MonTheatre, un moment de repos bien mérité. Après avoir publié plus de 250 critiques entre septembre 2015 et mai 2016, il faut avouer qu’elle était attendue de pied ferme. Mais comment empêcher de réels et fervents amateurs de ce riche domaine artistique d’aller se réfugier dans quelques salles choisies, même par soir de beau temps ?

Notre collègue Daphné a eu la chance, encore une fois, de parcourir les rues d’Avignon lors du festival du même nom. Notre ami Olivier s’est présenté dans un parc près de chez lui pour assister à la toute nouvelle création de la Roulotte. Personnellement, bien franchement, je ne croyais pas quitter mon invitante arrière-cour qui incite à la lecture et au flânage. L’invitation – impossible à refuser! – du Théâtre du Gros Mécano, du Théâtre de la Petite Marée, des Productions À tour de rôle et du Théâtre de la Marée Haute m’a fait prendre la route pour une escapade vers l’est : direction Carleton-sur-Mer et Bonaventure ! Gaspésie, je te revois enfin.

Chaleur, froid, pluie, vent, soleil, nuages : Mère Nature n’épargne aucun artifice pour mon périple de plus de six heures vers la mer. Même si j’y suis passé deux fois auparavant, je n’avais que peu de souvenirs de la ville de Carleton. Ce fut un immense plaisir de l’amadouer, de se promener sur sa toute nouvelle et longue promenade de bois longeant la plage de la Baie-des-Chaleurs (inaugurée cette année), de jaser avec quelques passants, d’y déguster son café à la Brûlerie du Quai, ses viennoiseries encore chaudes de la boulangerie du coin (La Mie Véritable) et ses fruits de la pêche au Marin d’eau douce. Une immersion des plus reposantes et des plus exaltantes.

carletonmix

Construit en 2003, le magnifique Quai des arts est une des fiertés de l’endroit, et ce, avec raison. Sa petite, mais superbe salle, le studio Hydro-Québec, propose 168 sièges dans un dénivelé prononcé permettant une parfaite visibilité, peu importe où l’on se situe. Depuis plusieurs années, les Productions À tour de rôle proposent aux résidents et aux touristes une programmation théâtrale originale, presque audacieuse. Pour sa 35e saison, en coproduction avec le Théâtre de la Marée Haute, la compagnie carletonnaise présente Irène sur Mars, une création de l’auteur Jean-Philippe Lehoux, co-mise en scène avec Michel-Maxime Legault.

Quai des arts
Quai des arts

Veuve, femme au foyer et mère de Simon, un astrophysicien d’une trentaine d’années vivant en Suisse, Irène reçoit par la poste un dépliant d’une résidence pour personnes autonomes, où elle aurait une place réservée grâce à son fils. La nouvelle la met en furie : insultée au plus haut point, elle prend l’avion pour dire en pleine face à sa progéniture chérie ses quatre vérités. Elle lui annonce du coup qu’elle participe au concours danois qui permettra à certaines personnes choisies de coloniser la planète Mars.

Trois ans plus tard, assise dans sa chaise d’arbitre du terrain de tennis familial laissé à l’abandon, Irène attend que la nuit passe ; la nouvelle à savoir si elle est acceptée ou non tombera au matin. Alors que ses soeurs rapaces se disputent les meubles de la maison, elle est visitée par Gaston, son voisin terre-à-terre et amoureux, et sa meilleure amie Natasha, fille de Gaston, aux hormones dans le tapis, car nouvelle mère d’un enfant sans nom. Que dit-on lorsqu’on s’apprête à quitter les siens pour toujours ? Comment réagir quand d’un côté, on se sent inutile, rejetée, et de l’autre, indispensable ? Irène se fout du lendemain ; elle règle allègrement ou douloureusement – mais avec une libération insoupçonnée – ses comptes, que ce soit avec son mari décédé dont elle rêve encore de l’entendre dire à quel point elle est belle, avec ce fils qu’elle croit cruel, un ancien ami qui l’avait insulté ou même Revenu Québec.

Crédit : Marianne Desrosiers
Crédit : Marianne Desrosiers

Après Comment je suis devenue touriste et Napoléon voyage, Lehoux continue d’explorer sa fascination pour le voyage avec cette pièce joyeusement irrévérencieuse et un brin philosophique. La pièce aborde des questions à priori sérieuses sur la transmission et la vieillesse, le désir, l’amour, la mort et la vie, auxquelles elle répond souvent de manière hilarante. Inspiré par sa mère et la comédienne Pauline Martin, avec qui il aurait eu de longues discussions avant l’écriture de la pièce, Irène sur Mars (qui a d’ailleurs failli s’intituler Pauline sur Mars) est un vibrant hommage à ces femmes fières et sous-estimées, qui rêvent de grandeur dans un quotidien de «petits bonheurs».

Portée par une mise en scène parfois surprenante – la première scène nous propulse dans une ambiance de planétarium – où se côtoient symbolisme, absurde, fantasmes et réalité, la pièce propose une petite galerie de personnages truculents. Alors que Michel-Maxime Legault et Catherine Audet se débrouillent fort bien en Simon et Natasha, le public s’attache rapidement au timide Gaston (excellent Gary Boudreault), qui peine à comprendre les raisons du départ d’Irène. Avec tout le talent qu’on lui connait, Pauline Martin charme dès les premiers moments ; par sa folie et sa sagesse, son Irène que l’on sent bien personnelle réussit à émouvoir et divertir tout à la fois.

Crédit photo Marianne Desrosiers
Crédit photo Marianne Desrosiers

Véritable petite épopée de l’intime, la pièce, à la finale délibérément ambiguë, mais optimiste, démontre une certaine profondeur sous ses airs de comédie d’été. Pour ceux et celles qui rateront les représentations à Carleton (la pièce est à l’affiche jusqu’au 12 août), la pièce sera présentée à Montréal en février 2017, à la salle Jean-Claude Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.

Maintenant, direction Bonaventure !

IRÈNE SUR MARS
Du 12 juillet au 12 août 2016, du mardi au vendredi, 20h30
Avec Pauline Martin, Gary Boudreault, Catherine Audet et Michel-Maxime Legault
Texte de Jean-Philippe Lehoux, co-mise en scène avec Michel-Maxime Legault
Productions À tour de rôle en coproduction avec le Théâtre de la Marée Haute
Tarif : 30$ adulte, 26$ aînés, 12$ étudiant
Prix de groupe disponibles
www.productionsatourderole.com

Ce périple fut possible grâce à l’invitation des compagnies À tour de rôle, du Théâtre de la Marée Haute, du Théâtre de la petite marée, du Théâtre du Gros Mécano, au Motel l’Abri et au Café Acadien.

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