Entre les lignes de Québec en toutes lettres – 3e partie

par David Lefebvre

Du 29 septembre au 8 octobre 2016, notre rédac’ chef David Lefebvre se transforme en « véritable festivalier » et assistera à une dizaine d’événements du Québec en toutes lettres. Thème de cette année : le polar et le roman policier.

Compte-rendu 3 – En prison avec SK | entretien avec un tueur en série ; Brouillet et Michaud – Modus Operandi.

EN PRISON AVEC SK | ENTRETIEN AVEC UN TUEUR EN SÉRIE

– Si vous sortiez de prison, est-ce que vous recommenceriez?
– Si je sortais d’ici? Oui, je recommencerais. En mieux.

Février 1998. Une journaliste se pointe dans une prison de l’état de la Floride pour interviewer Richard Métivier, dit Clumzy, un Québécois tueur en série incarcéré depuis 29 ans. Avant de se faire arrêter, l’homme aura tué près de 20 personnes, parfois au hasard, grâce à des jumelles trafiquées, parfois en les amenant chez lui pour les trucider. Quelles pulsions malsaines poussaient Métivier à se conduire ainsi ? Entretien avec un serial killer.

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D’emblée, En prison avec SK joue avec les codes du réalisme, notamment grâce à la présence de Carole Vallières, journaliste et animatrice, qui lira le texte en compagnie de l’auteur, Rober Racine. Les spectateurs se retrouvent donc devant «une vraie rencontre avec un faux tueur». Si, au premier abord, l’entretien se veut souvent trop indulgent envers l’homme, manquant de réel mordant, cela s’explique en partie grâce au fait que la journaliste, par ses quelques réflexions donnant (presque) raison au tueur, et ses questions souvent trop simples, tente d’amadouer le Québécois pour qu’il se confie à elle sans filtre. Et c’est plutôt réussi, particulièrement lorsque Métivier aborde, avec un brin de philosophique, ses meurtres, et ce, sans censure. Au coeur du récit, on sent alors tout le côté morbide, sordide, de l’individu et de ses actes. On éprouve à la fois une certaine fascination et du dégoût pour lui, mais la sensation s’effrite, la cause en étant les nombreuses répétitions qui étirent les échanges. Malgré tout, la partition se révèle être relativement efficace, très bien rendue par les deux lecteurs, même si les dialogues, surtout pour Métivier, s’avèrent à quelques reprises un peu trop littéraires – la voix de Racine, nonchalante, vient ajouter alors quelques frissons supplémentaires.

Pour accompagner Carole Vallières et Rober Racine, deux musiciens au talent extraordinaire : Robert Marcel Lepage et Michel F. Côté. La musique, mélange de jazz, d’électro et d’échantillonnage, vient créer un lit parfait pour le jeu de séduction et de répulsion des deux individus, et combler les intermèdes de superbes mélodies, très appropriées. Pourtant, elles paraissent parfois un peu longues, alors qu’on voudrait entendre la suite de l’entretien.

Sur un écran géant apparaissent les illustrations dessinées en direct par le bédéiste Sébastien Trahan. Visuellement très frappantes, en rouge et blanc sur fond noir, elles s’avèrent esthétiquement intéressantes, légèrement animées grâce à un « loop » des traits, mais peu nombreuses et peu éloquentes, n’amenant finalement que de rares échappées visuelles pour le spectateur.

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Alors qu’on annonçait l’événement comme un moment-clé de la programmation de Québec en toutes lettres, on reste, malgré tout le talent de l’auteur, des lecteurs, des musiciens et de l’illustrateur, légèrement déçu et sur sa faim à la sortie de la salle.

BROUILLET / MICHAUD : MODUS OPERANDI

Jeudi soir, Chapelle du Musée de l’Amérique francophone. Une soixantaine de personnes – beaucoup moins qu’on aurait pu le croire au départ, vu l’événement – sont au rendez-vous pour entendre Martin Michaud, nouveau maître du polar québécois, et Chrystine Brouillet, reine du roman policier d’ici. Pour leur soutirer les confessions les plus indiscrètes, nul autre que Norbert Spehner, critique littéraire et grand spécialiste de la littérature noire. Une rencontre sous le signe du respect mutuel et de la bonne entente.

Chrystine Brouillet
Crédit David Lefebvre

Les invités, d’abord seuls, font un résumé plutôt rapide de la naissance du désir d’écrire et de leur journée type. On parle d’abord du plus récent roman :  «Oui, écrire c’est pour divertir, mais c’est aussi être témoin de l’époque» lancera Michaud, en parlant de Quand j’étais Théodore Seaborn. Lecteur assidu, l’homme natif de Québec avoue avoir dévoré dans sa jeunesse les Henri Verne et les Ludlum, dont La Mosaïque Parsifal qui l’aura profondément marqué. «Je vois des crimes partout, c’est devenu une déformation [professionnelle]», dira quant à elle Chrystine Brouillet. Elle donne l’exemple de cette employée de salon de thé, avec une très longue tresse : «Les hommes doivent regarder sa tresse frotter sur ses fesses, alors que moi, j’imagine qu’on pourrait l’étrangler avec.» La comtesse de Ségur, Maupassant, Zola et Agatha Christie passeront tour à tour dans ses mains de jeune fille, puis les auteurs soixante-huitards (néo-polar français) et Patricia Highsmith feront son bonheur. Critique de romans policiers dans les années 80 (l’une des premières) pour le compte de la revue Nuit blanche («pour avoir des livres neufs, après avoir écumé les bibliothèques», confiera-t-elle), elle lance rapidement son premier roman, lauréat du prix Robert-Cliche (introuvable sur le marché). Alors que Michaud «récolte doucement des idées disparates jusqu’à ce que des liens inconscients surgissent» et traite de «bullshit» le fait que «les personnages ont une vie propre et qu’ils décident de leurs actes (et non les auteurs)», Brouillet note beaucoup, place les idées dans des enveloppes qu’elle ouvre plus tard. Elle qui planchait énormément sur des plans d’écriture détaillés, ceux-ci sont beaucoup plus «flous» maintenant, laissant de la place aux personnages, se laissant surprendre par eux, tout en respectant la limite de chacun d’eux. Les avantages et les inconvénients d’une série (Victor Lessard du côté de Michaud, Maud Graham et Louise pour Brouillet) sont aussi abordés.

En deuxième partie, on réunit les deux auteurs pour parler de leur rapport avec la critique – Brouillet et Michaud s’entendront pour dire qu’elle est nécessaire, et que la place faite à la culture dans les médias québécois est désolante. Puis, on aborde le cinéma, les séries télé : alors que Michaud s’y investit (il a signé un scénario basé sur son personnage de Victor Lessard pour Illico, que les abonnés pourront voir en février 2017), Brouillet n’est pas intéressée à l’idée d’adapter l’un de ses romans, préférant créer plutôt que de retravailler ses écrits. D’autres s’en sont occupé, dont Jean Beaudin (Le collectionneur) et Jacob Tierney (Good Neighbours).

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Crédit David Lefebvre

Si les échanges menés rondement par Norbert Spehner furent plutôt intéressants (quoique peut-être sans véritables nouvelles informations pour les inconditionnels des deux auteurs à succès), ce sont les lectures qui ont littéralement volé la vedette. Marianne Marceau (qui dirigeait aussi la mise en lecture) et Lucien Ratio ont fait trembler le public – et les romanciers, qui ont trouvé plus terrifiants que d’habitude leurs propres écrits – grâce à des extraits de Violence à l’origine (2010), Il ne faut pas parler dans l’ascenseur (2014) et Je me souviens (2012) de Michaud, Promesses d’éternité (2009), Chère Voisine (1982) et Le collectionneur (1995) de Brouillet. Le duo de musiciens Vincent Gagnon (au piano) et Frédéric Brunet (contrebasse et guitare) ont accompagné les lectures de musiques presque minimalistes, installant avec brio une atmosphère parfaitement lugubre.

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