Rose et la machine : un parcours éprouvant, un discours émouvant

Rose et la machine : un parcours éprouvant, un discours émouvant

Après la présentation de la pièce de théâtre documentaire Tout inclus qui informait sur le quotidien des personnes âgées résidant en RPA, voilà que la compagnie Porte Parole revient au Théâtre Duceppe avec Rose et la machine, nouvelle production de même type écrit par l’autrice et comédienne Maude Laurendeau. Faisant état de sa véritable expérience à titre de maman d’un enfant ayant reçu un diagnostic de Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA) en bas âge, elle aborde la complexité d’intégrer une jeune personne neuroatypique au sein d’une société dont le fonctionnement est basé sur une perception «neurotypique» du monde. Mis en scène par Édith Patenaude, le spectacle est porté par Maude elle-même, qui agit à titre de narratrice auprès du public, mais, également, comme interlocutrice, alors que la comédienne Julie Le Breton interprète l’ensemble des intervenants impliqués dans son parcours éprouvant.

Dès les premières secondes, l’éclairage conçu par Julie Basse éblouit à un point tel qu’elle obstrue la vue des spectateurs pendant un moment. Ce simple choix de conception suggère déjà que la pièce ne se veut pas un divertissement léger. Alors que cela se reproduira à quelques reprises au cours de la représentation, cette première fois est suffisamment inconfortable et surprenante pour donner à ressentir le choc d’apprendre une nouvelle qui, sur le coup, est terrifiante. Accompagnés par la musique et l’environnement sonore de l’œuvre de Frédéric Auger qui insufflent un certain sentiment d’urgence, ces effets de lumières n’en sont que plus saisissants. Cela offre un intéressant contraste avec le décor imaginé par Patrice Charbonneau-Brunelle qui a été confectionné, en grande partie, dans des teintes assez neutres. Il importe de souligner l’originalité avec laquelle le concepteur a su incorporer un aspect ludique à un espace scénique où la symétrie domine visiblement, tandis que divers solides géométriques remplissent la scène et deviennent les «jouets» à la disposition des interprètes pour figurer un changement de lieu dans le récit. Ces éléments de décor s’agencent parfaitement avec le ruban adhésif vert collé au sol, tel un quadrillage avec quelques imperfections évidentes. Attirant l’œil, cet ajout offre de quoi rappeler la structure de la société dans laquelle des chemins clairs et droits sont tracés comme repères, mais dont la présence de lacunes dans leur constitution est facile à repérer. Il convient aussi de dire que ces lignes permettent aux comédiennes de s’amuser à les suivre ou à les éviter tels des enfants se servant du sol pour s’inventer leur propre jeu.

Cette opposition entre originalité et tradition transparait magnifiquement bien autant dans la scénographie que dans la mise en scène et dans la performance des deux comédiennes. La mise en place de Patenaude est assez conventionnelle au genre théâtral. Sans sortir du cadre de leur espace de jeu, le duo d’interprètes donne à entendre des dialogues qui respectent la conception habituelle d’une conversation entre deux individus sur scène. Et entre les diverses interactions, Laurendeau s’adresse au public en lui faisant face. Parce qu’il parait respecter une logique de présentation habituelle malgré le dynamisme ajouté par l’utilisation des éléments mobiles du décor comme accessoire ou la présentation d’une courte scène de jeu d’ombre et de lumière, le travail de Patenaude semble s’effacer au profit de la puissance du texte de la pièce. Entre la présentation de discussions assez sérieuses qu’elle a avec différents intervenants au sujet de sa fille Rose, Maude s’adresse aux spectateurs avec une sincérité qui émeut. La vulnérabilité dont elle fait preuve à certains moments est assurément une des forces du spectacle. Cela dit, l’interprétation énergique et, quelques fois, légèrement caricaturale de Julie Le Breton donne la possibilité de rire quelque peu. Sans surprise, Le Breton parvient à démontrer sa polyvalence d’interprète à travers l’incarnation de chacun de ses personnages en plus de donner à voir un jeu d’une grande humanité. Amie de Laurendeau dans la réalité, la comédienne partage, avec celle-ci, une complicité enviable qui ne manque pas de faire sourire.

Loin d’être un spectacle de théâtre documentaire sur le Trouble du Spectre de l’Autisme, Rose et la machine ne donne pas de réponses pour démystifier ce diagnostic et ne propose pas, non plus, de possibles solutions pour mieux intégrer les individus autistes dans la société. Cette nouvelle production de la compagnie Porte Parole trouve sa pertinence dans sa franche démonstration des difficultés que rencontrent ses gens aux besoins particuliers et leur entourage qui peinent à les aider à se développer au moyen d’une «machine» aucunement faite pour eux. Complices sur scène et dans la vie, Maude Laurendeau et Julie Le Breton font résonner le discours présenté avec un niveau d’authenticité particulièrement touchant. Supportées par l’excellent travail de l’équipe de conception, les deux comédiennes livrent un discours qui ne peut tout simplement pas laisser indifférent.

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