FIAMS jour 3 – contempler l’art marionnettique sous toutes ses formes
par David Lefebvre
Lire Jour 2 – fables brutales
Lire Jour 1 – de rocheuses et de merveilles
Samedi, 27 juillet, le festival est béni des dieux de la marionnette, le beau temps est encore au rendez-vous. Tout de suite après la pièce Mapa du Théâtre des Petits Âmes, les festivaliers professionnels étaient conviés à une table ronde sur la diffusion de la marionnette dans les trois Amériques. Puis, direction Mont Jacob pour deux pièces une à la suite de l’autre qui, par hasard ou de façon intentionnelle, abordent deux pays asiatiques, le Japon et la Chine.
LE VOYAGE D’HERVÉ
Présenté en espagnol avec surtitres français (une rareté dans le présent festival), Le voyage d’Hervé est une adaptation libre du roman Soie d’Alessandro Baricco. 1861. Hervé Joncour, habitant de Lavilledieu dans le sud de la France, est vu comme un sauveur depuis que la ville s’occupe de fabriquer de la soie. Puis, catastrophe, les oeufs des vers à soie provenant d’Afrique sont tous contaminés ; il faut trouver une solution. Joncour part alors pour un pays dont on connaît encore peu de choses, le Japon. Après un périple à travers l’Europe, les steppes russes et la Chine, il se rend sur les rives japonaises et réussit à marchander avec Hara Kei, grand chef des lieux. Sur son chemin, près d’un lac, il rencontre une jeune femme au visage enfantin qui l’envoûte ; après une cérémonie du thé, elle lui laisse une multitude d’oiseaux en origami, dans lesquels elle dissimule une lettre d’amour. Revenu au pays, il demande à la tenancière d’un bordel, Madame Blanche, de lui traduire les idéogrammes qui le sépare de son amour impossible.
Avec simplicité, la compagnie Los Ladrones de Quinotos (Les voleurs de kumquats), par l’entremise du metteur en scène Bruno Luciani, nous transporte de la France au Japon sans artifice. Le récit, raconté sur scène par Balbadiou, le seul ami d’Hervé, et Madame Blanche, est empreint d’une douceur et d’une poésie presque contemplative. Accompagnés par Agathe Sidaine à la guitare, qui joue quelques mélodies languissantes, les acteurs Rita Gonzalez (d’une grâce sublime) et Gerado Porión interprètent tous les personnages. D’une valise sort Hervé, marionnette à tige plutôt simple, mais d’une belle efficacité. Un moment théâtral tout en délicatesse et en volupté.
HISTOIRES DE CHINE
Art millénaire admis au patrimoine mondial immatériel de l’UNESCO en 2011, le théâtre d’ombres traditionnelles chinoises est une forme marionnettique qui se perd doucement ; alors qu’on transmettait les secrets et le savoir de génération en génération, une relève se fait cruellement attendre. Il est rare de pouvoir assister à ce genre de représentation, encore plus au Canada ; le festival nous en donne l’occasion, profitons-en.
La Lufeng Shadow Puppetry, une compagnie d’une cinquantaine d’artistes chinois, présente quatre courtes scènes aux festivaliers :
– La souris voleuse d’oeufs : sur une ferme, des souris profitent de l’absence de la poule pour voler ses oeufs ; le chien, les surprenant sur le fait, défend son amie (un conte sur la ruse de la souris et l’instinct maternel de la poule).
– La tortue et la grue : juchée sur un rocher pour prendre un peu de soleil, une tortue se fait piquer par une grue ; la tortue n’a pas dit son dernier mot et se venge en attaquant à son tour le grand oiseau (un conte sur l’arrogance et la sagesse).
– Le prince Nezha triomphe du Roi Dragon : alors que le Roi Dragon est amusé par sa cour de grenouilles musiciennes et de crevettes danseuses, le prince Nezha affronte les généraux du Roi pour le vaincre, une fois pour toute (saynète tirée du conte ancestral du même titre).
– Le combat des coqs : alors que le coq coloré chasse et trouve la nourriture, le coq noir se repait du diner du premier ; le combat entre les deux rois de la basse-cour éclate.
Si le théâtre d’ombres traditionnelles chinoises se dit l’ancêtre du cinéma, il est assurément le grand-père du dessin animé. La technique est aussi simple que complexe : un écran rétroéclairé par des projecteurs, placés en hauteur, sur lequel on appuie des personnages colorés transparents que l’on tient au bout de tiges (les marionnettistes, placés sous les sources de lumière, ne projettent pas d’ombre sur l’écran). Mais la manipulation est loin d’être aisé et demande des heures et des heures d’entraînement. L’effet, aujourd’hui, avec tout ce que la technologie permet de faire, même sur scène, crée un sentiment paradoxal : le spectacle s’avère tout aussi impressionnant que suranné. La musique qui accompagne les scènes s’inspire de la musique traditionnelle chinoise, nous plongeant immédiatement dans cette culture exceptionnelle – la seule exception est la scène de la souris et de la poule, où la musique, presque stravinskiesque, rappelle par son intensité cinématographique les films noirs ou les vieux films d’animation de la Warner. Une frénésie musicale assez décalée face aux images enfantines et à la jolie manipulation des interprètes.
CHANGEMENT DE REGISTRE
LE PETIT POUSSERAIE
En début de soirée, direction les commerces de la rue Saint-Dominique pour deux pièces du parcours insolite. On entre d’abord au restaurant Les 400 coups pour assister à l’adaptation «18 ans et plus» du conte du Petit Poucet, rebaptisé ici Le Petit Pousseraie. Les deux comparses, Jérémie Desbiens et Alexandre Larouche, s’amusent ferme à dévergonder la fable de Charles Perrault et les spectateurs adultes et avertis en redemandent. Père et mère, des Buck-ronds, pardon, des bûcherons, ont six fils bien «amanchés» et un septième qui préfère, disons, les chanteuses de la fin des années 80. Entassés dans une seule pièce, en manque de sexe sado-masochiste, les parents perdent les petits dans la forêt qui se retrouvent dans un igloo-bordel mené par une bouteille de vin et un ogre-quille-de-bière qui apprécie particulièrement les jeunes garçons… Texte «foutument» bien écrit aux nombreux jeux de mots grivois et alcooliques, cette relecture d’une trentaine de minutes a fait éclater de rire même les plus prudes de l’endroit qui ont osé assister à la représentation.
POMME DE ROUTE
De l’autre côté de la rue, à l’Hopéra, le collectif La ruée vers l’or (Anne Lalancette, Jérémie Desbiens et Alexandre Harvey) présentait Pomme de route (oui, comme dans «crottin de cheval»), un western un brin grivois en trois actes. Première partie : un cowboy se saoule au saloon et se retrouve nu, au lit, avec une inconnue plutôt surprenante… Deuxième partie : alors qu’il fait ses exercices matinales au son des notes du générique de Rocky, notre homme entend une demoiselle en détresse, possiblement attachée sur les rails d’un chemin de fer. Le cowboy ne fait ni une ni deux pour la secourir, enfourche son cheval et poursuit le train à pleine vitesse, perdant encore une fois ses culottes. Dernière partie : notre ami s’improvise voleur de banque, et, alors qu’il s’enfuit après son larcin, il se perd dans le désert et meurt (presque) de soif.
La marionnette, conçue par Anne Lalancette, est foncièrement rigolote, avec ses membres mous et son nez gigantesque, véritable appendice qui pendouille allègrement. Très bien manipulée par le duo Lalancette-Desbiens, elle court, s’exerce et s’exalte sur la musique jouée en direct d’Alexandre Harvey, rappelant parfois celle de Morricone. Un petit 30 minutes fort sympathique, qui circule bien depuis sa création en 2015.
J’AI TUÉ LE MONSTRE
C’est au Cégep de Jonquière que MonTheatre termine son parcours festivalier avec J’ai tué le monstre, une courte forme qui résulte d’une commande du festival Les mains en l’air. Le thème imposé : la chanson I Killed the Monster de Daniel Johnston. Inspiré par «la porosité entre le monde de la maladie mentale et le monde de la création» qu’il retrouvait dans la chanson, le concepteur et comédien Gildwen Peronno (que l’on a pu voir précédemment dans Celle qui marche loin) utilise les codes des films d’horreur de série B pour proposer une pièce comico-horrifique jouissive. Quand Hitchcock rencontre Irvin S. Yeaworth Jr. ou Siegel.
Daniel, un désadapté qui vit au 1, rue du Porc (avec un C), a reçu un paquet des États-Unis. Le contenu : des pilules à tester durant un mois. Sans lire les 35 recommandations à suivre, il s’envoie une première capsule qui lui fait un effet extraordinaire. Après quelques jours, il vide la bouteille et se transforme, rappelant alors le Blob… C’est le chien Kiki de Jean-Marie qui disparaît en premier, puis Martine, la fleuriste. La rumeur s’emballe, l’hôpital psychiatrique envoie deux infirmiers, et Daniel disparaît sans laisser de traces…
Une lampe sous abat-jour, une table, c’est tout ce qu’il faut à Peronno pour raconter son histoire. Il mettra en scène quelques menus objets du quotidien (de petites voitures, un mammouth pour illustrer un vieux et lourd camion de livraison, ou encore des souliers dans une petite scène fort sympathique qui présente le personnage de Martine qui adore aller danser) pour faire avancer le récit et l’imager. Mais c’est la musique (quelques classiques à la Herrman), le jeu d’acteur, les ruptures de ton et les nombreuses mimiques du comédien qui font la majeure partie du travail. Et la finale en a fait frissonner plus d’un, et fait rire bien d’autres… Une courte forme simple, efficace, comme on aime, rappelant légèrement le travail du Bob Théâtre.
LE FIAMS
Fréquenter un festival, c’est assister à une tonne de spectacles, mais c’est aussi profiter des nombreuses rencontres humaines que l’on fait durant le parcours. Et le milieu de la marionnette est tout petit : c’est une belle famille qui se tient, qui s’admire, qui s’entraide et qui s’encourage allègrement. Pouvoir le vivre un peu de l’intérieur est une expérience riche et exceptionnelle. J’en profite donc pour saluer toutes les personnes qui ont fait de ces 3 jours un véritable bonheur et remercier sincèrement toute l’équipe du FIAMS (spécialement Mélissa et Morgane) pour son accueil chaleureux et professionnel, à la hauteur de sa réputation.
On se dit rendez-vous dans 2 ans ?
MonTheatre est au FIAMS à l’invitation du festival