FIAMS jour 2 – fables brutales

par David Lefebvre

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JOUR 2

Autre journée radieuse où il est presque immoral de s’enfermer dans une salle obscure (même s’il y fait plus frais!). Mais encore une fois, les propositions sont intéressantes et valent les quelques heures à l’intérieur. D’ailleurs, la journée s’est amorcée avec un petit-déjeuner causerie sur la marionnette française, animé par Sabine Trégouët, chargée de mission Arts, Culture et Francophonie du Consulat général de France à Québec, qui s’est mué en discussion sur les opportunités et les obstacles des coproductions internationales grâce aux interventions de Maude Gareau de la compagnie Ombres folles et d’Anne-Françoise Cabanis, directrice artistique du Festival Mondial des Théâtre de la Marionnette à Charleville-Mézière. Puis, la présentation d’un film fort sympathique sur l’histoire de la marionnette à Puerto Rico, le premier d’une trilogie sur l’art marionnettiste des Caraïbes, par le non moins sympathique Manuel A. Moran (voir la bande annonce). Une opportunité de mieux comprendre et apprécier cet art extraordinaire tout aussi porteur d’espoir que rassembleur.

LA VALSE DES HOMMELETTES

Créé en septembre 2016, La valse des hommelettes de la compagnie française Les Antliaclastes s’inspire en grande partie de la trilogie des Lutins des frères Grimm. Au Québec, on connaît surtout le conte de Noël du vieux cordonnier qui, un matin, voit ses derniers bouts de cuir cousus en une jolie paire de souliers qu’il revend à bon prix. Intrigué, il découvre que ce sont de petites créatures magiques qui façonnent à la perfection chaussures et bottillons durant la nuit. La femme de l’artisan, pour les remercier, leur confectionnent de petits habits, qu’ils prennent avec plaisir avant de quitter pour de bon la chaumière.

C’est d’abord la scénographie qui capte l’oeil : une énorme horloge suisse, telle une maisonnette, occupe une grande partie de l’espace scénique. Une femme hirondelle actionne un rouet ; du fil, elle fabrique un nid pour ses oeufs, qui s’entortille grâce à un plateau tournant à grande vitesse, créant de superbes effets à la ficelle. Apparait un jackalope (lapin avec de petits bois de cerf), chasseur de coucou, à la dégaine mi-cool, mi-animale. Les masques, confectionnés à partir de matières naturelles ou recyclées, sont d’un réalisme exceptionnel. Dans cette horloge fantaisiste (le cadran offre une 13e heure à la journée) se cache une multitude de créatures, dont les fameux lutins diablotins (marionnettes à fil savamment manipulées, provoquant souvent l’hilarité), sortant par quelques portes dissimulées ou directement du cadran.

Chaque tableau surprend : on ne sait jamais où les créateurs nous entraînent, alors qu’un immense oisillon claque du bec pour manger, qu’un faon est libéré d’un piège à ours ou qu’une nativité, tout sauf traditionnelle, se forme en fin de représentation. Un «cabinet de curiosité» des plus étranges, mais des plus réjouissants.

Emmanuel Debost

BRUT

La compagnie française Le vent des forges se spécialise dans un matériau peu exploité sur scène, soit l’argile. De leurs mains expertes, Odile L’Hermitte et Marie Tuffin façonnent, à partir d’un bloc clair, les différents personnages qui peuplent le monde de Victor. Victor est un jeune garçon qui dissimule ses cheveux frisés et ses oreilles sous une casquette. Il commence à éprouver des sentiments pour une camarade de classe populaire, prénommée Violette. Alors qu’il est la risée de sa classe, Victor se fait tabasser. Inquiète, Violette ira le retrouver chez lui pour lui faire part de son inquiétude, ce qui donnera le courage à Victor de lui avouer ce qu’il cache au fond de son coeur.

Jouant dans un espace restreint, dans un noir quasi complet (les quelques projecteurs braqués sur la scène font bien ressortir l’argile pâle), les deux comédiennes au visage caché sous une casquette s’échangent les personnages avec aisance. Ceux-ci (père, mère, Violette, Victor et les autres camarades de classe, à moindre échelle) se forment rapidement, sous les mains de L’Hermitte et Tuffin. Le spectacle aborde l’intimidation et l’émancipation, le passage vers l’adolescence. La première moitié manque par contre d’humour : si les plus jeunes sauront reconnaître plusieurs situations similaires à leur quotidien, les adultes, pour leur part, pourraient légèrement s’ennuyer. C’est lorsque le jeune Victor affronte enfin ses cauchemars, qui se matérialisent en un visage blême squelettique se moquant sans cesse de lui, que la pièce réussit à toucher un plus large public. Plus doux-amer que brut, la pièce réussit tout de même à parler directement au jeune public grâce à un récit sans ambiguïté.

Crédit Virginie Meigné

DEHORS TOUT LE MONDE !

L’après-midi touche à sa fin, une petite promenade s’imposait, question de découvrir les installations du Parc de la Rivière-aux-Sables. En suivant le sentier, plusieurs stations se succèdent, promettant aux passants un spectacle (certains d’une durée de 10 minutes, d’autres beaucoup plus long) au cours de la journée. Côté théâtre de rue, le festival propose une panoplie d’événements du plus simple au plus spectaculaire. Du style Punch and Judy, Les Blettes (UQAM) nous entrainait, le soir de notre déambulatoire, dans un «grand déménagement» tonitruant (la sono décapait littéralement les tympans), où vaisselles et bébé s’entassent dans les boîtes alors que la police poursuit Judy ; une occasion de découvrir ce style ancestral de manipulation et de jeu fait, littéralement, avec les moyens du bord. Un peu avant, Alex Piras de la compagnie italienne Legni A Galla proposait Tic tac, un spectacle de marionnettes à fils assez rigolo sur le temps qui passe, grâce à deux personnages dont un squelette se retrouvant avec un nez de clown, puis allant ensuite charmer les genoux des spectateurs. Irrésistible.

OGRE

Direction l’Université du Québec à Chicoutimi pour l’adaptation du texte Ogre de Larry Tremblay par la compagnie saguenéenne La tortue noire et le Théâtre La Rubrique. Le texte, écrit en 1995 (et présenté au Théâtre d’Aujourd’hui en 1998 avec Carl Béchard) propose l’histoire d’un homme obèse, égocentrique maladif, qui oscille entre la réalité et son monde de fantasmes, où toutes les femmes, incluant sa propre fille, le désirent, l’adulent, jusqu’à sa voisine, une «princesse de Bagdad en exil».

Réelle descente aux enfers du narcissisme, Ogre exhibe les affres et les désirs les plus perfides de cet «hénaurme» individu (comme le décrit l’auteur). Pour représenter physiquement le personnage, le metteur en scène Dany Lefrançois place au milieu de la scène une marionnette géante (conception Mylène Leboeuf-Gagné) à l’effigie d’un homme gras et nu, qui apparait lentement aux spectateurs (éclairages Alexandre Nadeau). Pour le manipuler, trois marionnettistes ; pour l’incarner, Éric Chalifour, derrière une console avec clavier, microphone et table tournante. Le comédien, en plus de prêter sa voix à l’ogre, s’occupe de tous les bruitages et de l’ambiance sonore, un travail qui semble «gigantesque», mais rondement mené. La lenteur des gestes de la marionnette contraste joliment avec le dynamisme du jeu de Chalifour. Si l’ogre est d’abord assez passif, il prend doucement vie, jusqu’à s’attaquer physiquement aux manipulateurs, les faisant pénétrer de force dans son univers pour incarner fils, fille, voisine – un élément de la direction scénique brillant et totalement réussi. On sent alors tout le poids de l’homme.

Évidemment, qui dit Larry Tremblay, dit texte aux nombreuses redondances, octroyant au monologue un effet de vortex psychologique auquel il est difficile de résister. Néanmoins, la finale s’étire allègrement, faisant passer le spectateur de l’état contemplatif, totalement absorbé par le récit et l’énorme marionnette, à une forme de distanciation qui affaiblit l’intérêt jusqu’ici relativement maintenu grâce au jeu de Chalifour et aux talents des manipulateurs.

Crédit Patrick Simard

MonTheatre est au FIAMS à l’invitation du festival

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