FBDFQ – Dessins circassiens
par David Lefebvre
Après les arts littéraires et la danse, Parenthèse 9 ose encore et toujours repousser les limites du dessin pour le faire sortir de ses planches. Cette fois-ci, l’organisme s’aventure dans l’univers du cirque et propose un cabaret/laboratoire dit «imparfait», où se mélangent arts circassiens, dessins et musique en direct. Un véritable festin pour les yeux et les oreilles !
Le jongleur Alexandre Seim ouvre le bal avec un numéro de manipulation de bâton : horloge, roues dentelées, le mouvement suggère et le dessin complète. Le tableau suivant, le dessin se fait plus carré, pour présenter Seim et un grand cube vide qu’il fait superbement tournoyer. Le cube devient ensuite une cage pour le monstre déchaîné qu’incarne l’acolyte acrobate Simon Giraldo. En compagnie de Josiane Lamoureux, Seim jongle ensuite avec des anneaux qu’ils s’échangent devant l’écran géant qui ferme la scène. Les ombres de ces derniers, sur l’écran, s’animent et se multiplient grâce au logiciel d’animation de Francis Desharnais.
Le trait d’une craie verte sur fond noir, chaotique, maniée par Bach, vient accompagner la jonglerie de quilles ; Josiane Lamoureux s’empare ensuite du plancher pour époustoufler avec un tableau de cerceaux, qu’elle fait tournoyer aux jambes et aux bras avec une dextérité déconcertante. La dessinatrice Catherine Lemieux, par des traits circulaires, vient mettre au défi Seim qui manipule superbement le yo-yo chinois, au son typique d’orgue d’aréna. Et entre tous ces tableaux, comme des interludes, la clownesque Joannie Hébert, en jolie symbiose avec le dessin qui vient créer de toute pièce ses environnements, cueille des pommes, s’envole à la manière de Mary Poppins, patine, se fait chatouiller par des monstres géants ou pêche à la ligne d’immenses poissons. Si les tableaux de clown sont un peu longuets, ils font par contre agréablement sourire.
Si le spectacle, jusqu’ici, fut très divertissant, ce sont les deux derniers numéros qui marqueront la soirée, de par leurs thématiques et leur maîtrise. Alexandre Seim revient avec un autre numéro de bâton, mais qui prend une tout autre symbolique, faisant écho aux conflits armés sur le globe : l’objet devient une mitraillette ou un lance-roquette. L’homme se bat, tire, lutte jusqu’à son destin funeste, pendant que l’écran blanc se remplit de taches noires, des gouttes d’encre qui tombent sur une feuille mouillée. L’effet est saisissant. De la mort, on passe à l’amour : Simon Giraldo remarque une jolie jeune femme dessinée par les mains parfaitement manucurées de Bach. Alors qu’il tente de l’amadouer avec une fleur, la fille dessinée lui rétorque (par l’entremise d’un phylactère) qu’elle n’aime pas trop le réel. S’ensuit une danse acrobatique où Giraldo jongle avec des feuilles de papier qui collent à ses mains et ses pieds, peu importe le mouvement. Sa frustration est palpable : il veut devenir dessin, pour toucher sa belle. Un miracle que seul Francis Desharnais peut accomplir. Un tableau d’une magnifique poésie, qui n’aurait pas pu mieux clore le spectacle.
Si le mariage entre dessin et cirque pouvait d’abord faire sourciller, il faut admettre que c’est largement réussi. Les dessins de Bach, Desharnais et Lemieux, pour la plupart accomplis en direct, font plus qu’accompagner les tableaux et les artistes sur scène : ils les nourrissent, les complètent et mettent au défi les jongleurs-acrobates. Les techniques employées sont nombreuses : feutre, craie, aquarelle, animation numérique, découpage… grâce à la magie de la caméra, le dessin statique s’anime et les possibilités sont infinies. Et les dessinateurs ne restent pas cloîtrés dans leur coin : les Giraldo, Hébert, Lamoureux et Seim viennent souvent les distraire, les déranger, voire les arracher à leur table pour une course folle sur scène.
À la trame sonore, le duo Frédéric Brunet et Nicolas Jobin fait encore des miracles, offrant des mélodies tout aussi inspirantes qu’inspirées, utilisant une multitude d’instruments, percussifs, à vent ou à cordes, de la trompette à la basse, en passant par… un mélangeur électrique.
Ce Fabuleux cabaret imparfait – cirque dessiné, présenté au Musée de la civilisation, a su répondre aux attentes et proposer une soirée hyper sympathique. Espérons que Parenthèse 9 répétera l’expérience.