par Daphné Bathalon

Connu pour son humour noir, l’auteur dramatique (The Pillowman) et scénariste (In Bruges) irlandais Martin McDonagh était de retour au théâtre cette année après une absence de plus de 10 ans. Sa nouvelle pièce, Hangmen, a connu un tel succès à Londres qu’elle s’est transportée du Royal Court Theatre, à l’automne, au Wyndham’s Theatre, dans le West End, cet hiver, avec la quasi-totalité de sa distribution.

1963, dans une cellule éclairée par une lumière blafarde, un condamné à mort proteste de son innocence, sous le regard impavide, voire plein de morgue, de l’exécuteur en chef Harry Wade (convaincant David Morrissey). L’homme a été condamné par la justice et doit mourir, là s’arrête la réflexion de Wade. Puits de lumière, une trappe s’ouvre, et le condamné, la corde au cou, disparaît.

Crédit : site du Royal Court Theatre
Crédit : site du Royal Court Theatre

L’ingénieuse et très impressionnante scénographie d’Anne Fleischle bascule alors pour nous amener deux ans plus tard, le jour où la peine capitale a été abolie. On retrouve Wade en propriétaire d’un pub sombre et enfumé d’Oldham, petite ville industrielle du nord de l’Angleterre. Il y manie les manivelles du distributeur de bière comme s’il s’agissait du levier actionnant la trappe de l’échafaud, entouré d’une faune d’habitués, alcooliques et désœuvrés, en admiration devant le personnage. Tout est sombre, fermé, étouffant, dans cette taverne typique des années 1960, et les remarques sexistes ou racistes y volent bas. L’arrivée d’un mystérieux étranger, fraîchement débarqué de Londres, va bouleverser le petit royaume de Wade. Le personnage incarné par Johnny Flynn, aux longs cheveux blonds et aux yeux bleu clair, partage un air de famille certain avec le Alex d’Orange mécanique, ce qui ne fait qu’ajouter à l’aura inquiétante qui s’en dégage, surtout lorsqu’il commence à charmer la fille de Wade (étonnante, mais attachante Bronwyn James).

Crédit : site du Royal Court Theatre
Crédit : site du Royal Court Theatre

Avec Hangmen, McDonagh démontre qu’il maîtrise parfaitement le ton caustique, menant son public et ses personnages au fil d’une histoire commencée sur une note tragique, avec une poignante scène d’exécution, puis se poursuit dans des histoires de taverne et l’intolérance qui y règne, glisse lentement vers le thriller, avant de virer complètement dans l’humour noir. Avec l’habileté qu’on lui connaît, l’auteur prend constamment le public à contre-pied. On ne lui pardonne que plus facilement ses quelques revirements de situation faciles et une caractérisation parfois sans grandes nuances, notamment de ses piliers de taverne.

Spectacle à plusieurs personnages et incluant même trois changements de décor complets, Hangmen impressionne par son ambiance très réaliste, complétée par les accents colorés de la distribution. Sous les couches d’humour et une interprétation un peu lourde par moments, Hangmen aborde des enjeux très personnels, notamment les conséquences d’un passé qui rattrape le présent et les dangers d’une vie passée à exécuter des gens sans même se demander si la peine capitale était justifiée ou nécessaire. Le spectacle demeure toutefois très ancré dans une époque et peine à poser de solides bases de réflexion. La mise en scène de Matthew Dunster demeure d’ailleurs très conventionnelle.

Filmée en mars, la représentation, qui a été projetée dans la programmation National Theatre Live de certains Cineplex de la région de Montréal, a attiré une assistance importante au Forum le 7 avril dernier. Une autre projection est prévue le 21 mai. Pour tous les amoureux de comédies mordantes et de pièces d’époque, c’est un rendez-vous.

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