Gaspésie partie 2 – «tu seras unique pour moi»

Par David Lefebvre

Il est temps de repartir. Carleton, Maria, New Richmond. Alors qu’on roule fenêtres baissées vers Caplan, la vue sur la Baie-des-Chaleurs devient absolument splendide. Puis, St-Siméon, Bonaventure. La rivière Bonaventure aux eaux limpides. Le Musée Acadien du Québec. Le camping bondé. La plage Beaubassin : résidents et vacanciers viennent tremper leurs pieds et profiter largement du soleil de juillet.

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C’est tout près de là, d’ailleurs, à un ou deux jets de coquillage du Café Acadien, que j’assiste en début de soirée à Mon Petit Prince, clou de la 22e saison de la compagnie gaspésienne Théâtre de la Petite Marée. La mission première de la Petite Marée est de créer, produire et diffuser des «œuvres théâtrales (…) destinées à toute la famille», un objectif plutôt rare en période estivale. Établi depuis 1994 dans ce qui fut le Préau du Camping Plage Beaubassin, le Théâtre de la Petite Marée ne cesse d’éblouir petits et grands ; on compte parmi ses plus récentes créations Otomonogatari – L’éveil d’une oreille d’Antoine Laprise (on espère voir le spectacle bientôt à Québec ou Montréal), Le merveilleux voyage de Réal de Montréal de Rébecca Deraspe, La tempête d’Emma Haché ou encore L’île au trésor de Jean-Philippe Lehoux (qui signe d’ailleurs la pièce présentée cet été à Carleton – lire Gaspésie partie 1).

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Claudelle, tout aussi attachante qu’arrogante et espiègle, n’en peut simplement plus de voir son papa Antoine, pilote d’avion, errer sans envie dans la maison depuis la mort de sa maman, Rose. Même les couchers de soleil, ce spectacle extraordinaire de la nature que la famille ne manquait pour rien au monde, n’avive plus rien chez lui. La petite fille, totalement amoureuse du livre Le Petit Prince de Saint-Exupéry, voit son imaginaire se lier aux différentes situations et aux personnages du roman, tout en y puisant une force inébranlable.

Un jour, Claudelle rencontre sur une dune, près de la maison, un serpent qui l’invite au voyage, ou plutôt à la fuite. Mais elle ne peut partir tant et aussi longtemps qu’elle n’a pas capturé dans un bocal le rire de son père. Il la met au défi : elle a trois jours pour attraper ce précieux son. Usant de subterfuges, elle tente tout ce qu’il lui est possible de faire, mais provoque la colère d’Antoine. Elle fait aussi la connaissance d’Olga, une petite renarde qui lui ressemble beaucoup… S’apprivoisant l’une l’autre, elles deviendront doucement amies. Claudelle sait, grâce au Petit Prince, que dans tout accident peut arriver un miracle ; est-ce qu’une coupure de courant par une employée d’Hydro qui semble très stricte sur les règles, mais aussi bienveillante, pourrait sauver son père du naufrage ?

Crédit photo Petite Marée
Crédit photo Petite Marée

Écrit à quatre mains par Anne-Marie Olivier et Marie-Josée Bastien – on perçoit, ici, les influences de l’une, là, la personnalité de l’autre, là encore, quelques références aux comédiens directement -, et véritable hommage au monde du petit blond aux yeux bleus de la planète B 612, Mon Petit Prince est une pièce immensément touchante, remplie d’un amour profond, abordant le thème difficile du deuil, mais aussi de la réconciliation, de l’imaginaire et du bonheur. Les mots et les pensées d’Antoine de Saint-Exupéry y sont omniprésents, guidant doucement ce conte campé dans une réalité bien triste. La langue se veut généralement simple et dynamique, très près de celle parlée par les jeunes adolescents.

La mise en scène de Marie-Josée Bastien s’inspire du conte, certes, mais aussi du livre et du papier, qui se retrouvent partout dans la scénographie, rappelant la lecture et le bricolage enfantin. La dune, forme géométrique en trois dimensions créée grâce à des triangles, rappelle l’origami. Les bouquins utilisés sont de type animé (pop up) ; les dialogues apparaissent, lors d’une scène post-chicane, dans des phylactères découpés. Les masques, dont celui de la renarde, sont aussi en carton, façon origami. Si certaines idées fonctionnent admirablement bien (l’utilisation d’un tourne-disque et d’une rose sous verre pour introduire la rencontre des deux amoureux), d’autres, un peu moins. C’est le cas de l’utilisation de tuyaux rétroéclairés lors d’un exposé oral sur le Petit Prince que Claudelle donne devant la classe. Les tuyaux renferment les personnages secondaires du livre – serpent, rose, renard -, mis à jour grâce à une lampe de poche, mais on les distingue difficilement. L’utilisation d’ombres chinoises sur l’écran en fond de scène aurait peut-être été plus éloquente. D’ailleurs, sur cet écran apparaît subrepticement la tête blanche du renard, comme un fantôme : une illusion qui, assurément, mériterait d’être plus souvent utilisée lors de la représentation. Côté éclairage, l’écran qui clôt la scène se teinte d’un bleu frappant pour le présent, et d’orangé pour le passé. Le tout crée un univers très accessible et joyeux, pour les plus petits comme pour les adultes.

Crédit photo Petite Marée
Crédit photo Petite Marée

Le trio d’acteurs choisi pour incarner les personnages est tout aussi amusant que juste. Il est plaisant de voir l’évolution du personnage d’Antoine grâce au jeu parfois enfantin, parfois posé, de Marc-Antoine Marceau, tout comme on s’amuse de le voir manipuler le serpent, vêtu d’un chapeau et de lunettes soleil. Marie-Pier Lagacé joue merveilleusement bien et de manière très distincte Rose, Solange, l’employée d’Hydro, et la renarde, alors que Chantal Dupuis s’illustre sous les traits de la dégourdie Claudelle. L’illusion est parfois parfaite, devenant sous nos yeux une réelle enfant.

La musique de Stéphane Caron propose, entre autres, quelques notes aériennes au piano, une formule jazz pour signifier la présence du serpent, et une chanson originale pour la scène finale.

Co-créée avec le Théâtre du Gros Mécano, Mon Petit Prince est un spectacle qui fait preuve d’une certaine audace, en abordant d’une manière tout aussi poétique que directe certaines thématiques. Et quelques détails de la mise en scène, dont le simple retrait du masque du renard (dévoilant le visage d’une maman qui ne quittera jamais sa petite) ou le montage d’une maison, à partir des armoires du décor que l’on colle ensemble et que l’on remplit des souvenirs d’hier et d’aujourd’hui, symbole de la reconstruction, touchent droit au coeur.

C’est le coeur gonflé à bloc et la peau rougie comme le homard cuit que l’on retourne doucement à la maison.

Crédit photo Petite Marée
Crédit photo Petite Marée

MON PETIT PRINCE
À partir de 5 ans
Du 14 juillet au 19 août 2016, du mardi au vendredi, 19h30, samedi à 10h30
Supplémentaires jeudis 21 et 28 juillet à 10h30
Avec Chantal Dupuis, Marie-Pier Lagacé et Marc-Antoine Marceau
Texte d’Anne-Marie Olivier et Marie-Josée Bastien d’après l’oeuvre d’Antoine de Saint-Exupéry
Mise en scène Marie-Josée Bastien
Production du Théâtre de la Petite Marée en coproduction avec le Théâtre du Gros Mécano
Tarifs 12$ enfants 19$ adultes 15$ étudiants.
www.theatredelapetitemaree.com

Ce périple fut possible grâce à l’invitation des compagnies À tour de rôle, du Théâtre de la Marée Haute, du Théâtre de la petite marée, du Théâtre du Gros Mécano, au Motel l’Abri et au Café Acadien.

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