La LNI s’attaque aux classiques : Explorations à la manière de…
par Daphné Bathalon
Avec sa série La LNI s’attaque aux classiques, qui est en passe de devenir un rendez-vous de fin d’année à Espace Libre, la Ligue nationale d’improvisation (LNI) s’offre le plaisir d’explorer divers univers dramatiques, dont certains sont, hélas, trop peu souvent mis en valeur en matchs réguliers.
Après une première édition passée à décortiquer les ressorts dramatiques, stylistiques et scénaristiques de plusieurs auteurs classiques, les maîtres d’œuvre François-Étienne Paré et Alexandre Cadieux et leurs improvisateurs ont proposé l’exploration d’auteurs plus contemporains, une voie sur laquelle ils ont poursuivi cette année avec cinq nouveaux auteurs. Pour cette troisième série, en plus du retour des incontournables Shakespeare, Molière, Ionesco, Tremblay et Lepage, les spectateurs peuvent donc revisiter les univers de Wajdi Mouawad, de Larry Tremblay, de Michel Marc Bouchard, de Carole Fréchette et de Sarah Kane.
C’est d’ailleurs cette dernière qui a d’abord retenu mon attention cette année. Une auteure à l’aura sulfureuse, à la trajectoire éclatante, mais tragiquement courte, et à l’écriture aussi douloureuse que débordante d’un amour maladroit ou carrément maladif. Peu connue du public québécois, Kane a été pour beaucoup une découverte universitaire, un électrochoc autant qu’un coup de cœur. Il faut dire que son style, qu’on a associé au théâtre in-yer-face n’a rien de paisible. Les improvisateurs de la «soirée Sarah Kane», Réal Bossé, Suzie Bouchard et Diane Lefrançois, ont d’ailleurs avoué avoir eu un petit vertige en découvrant quel auteur ils allaient mettre en pratique. Mais un vertige qui leur a, semble-t-il, donné l’énergie nerveuse tout indiquée pour cette exploration.
Cadieux et Paré semblent de mieux en mieux maîtriser leur concept, qu’ils étrennent depuis trois ans à Espace Libre, mais aussi dans les écoles et, cet été, dans certains lieux de Montréal à l’occasion du 375e anniversaire de la ville. L’ajout d’auteurs classiques plus contemporains a permis de voir apparaître quelques écritures féminines, même si encore trop peu.
La formule de cette troisième série reste sensiblement la même, avec une première heure d’exposition et d’exercices et une pièce improvisée de 30 minutes. Les exercices se révèlent encore plus efficaces, alors que Paré donne ses indications aux interprètes au fil des improvisations plutôt qu’au début, leur accordant un peu plus de liberté de mouvement. Cinq trios d’interprètes se partagent les soirées cette année. C’est cinq fois plus que pour les deux précédentes séries. Il sera intéressant de voir si cette multiplication de joueurs-explorateurs aura une influence plus marquée lors de la prochaine coupe Charade de la LNI.
Vendredi 1er décembre, les comédiens se sont prêtés au jeu avec une belle générosité pour se familiariser avec l’univers de Sarah Kane, enfant terrible du théâtre britannique des années 1990. Cadieux et Paré ont divisé leurs explorations en six parties : l’amour douloureux, violent ; les relations humaines tortueuses ; les différents niveaux de langage ; les supplices improbables ; le surgissement de l’impossible et la figure du double.
Plusieurs personnages et situations intéressantes, voire par moments réellement troublantes, ont surgi au cours de la première heure. En deuxième partie, dans l’improvisation longue qu’on nous présente comme une « pièce inédite » de l’auteure, les comédiens ont habilement repris certains des éléments de leurs exercices (situations, personnages, effets de style) pour nous raconter, avec une étonnante précision, l’histoire touchante d’un frère et d’une sœur suivant une sorte de thérapie de croissance personnelle tordue et douloureuse. Certes, en 30 minutes, ils n’ont pas pu développer beaucoup les thèmes de prédilection de Kane, mais ils ont jeté des bases solides. Le public, ayant assisté aux précédents exercices, se retrouve très vite complice des interprètes, repérant les éléments travaillés dans l’heure précédente.
Le concept de La LNI s’attaque aux classiques, que la ligue compte bientôt exporter, notamment en Italie, présente en effet une belle leçon de théâtre, à la fois didactique et ludique. Parfois très réussie, comme la soirée Kane, parfois plus relâchée, comme la soirée Robert Lepage, du samedi 2 décembre.
Soirée Robert Lepage
Non pas que la soirée en elle-même n’ait pas été réussie, mais le ton dramatique de Lepage a semblé plus difficile à trouver pour les interprètes. Les exercices ont porté sur cinq aspects de l’écriture de ce grand créateur de Québec : l’objet-repère, les changements d’échelles, les liens entre gens ordinaires et des figures de l’histoire, les relations entre les personnages et de grands événements historiques, et la force du hasard. LeLouis Courchesne, Joëlle Paré-Beaulieu et Brigitte Soucy se sont prêtés aux exercices avec ouverture et énergie, et ont fait passer un très bon moment au public, mais il faut dire que celui-ci a plutôt eu droit à une version comique de l’univers « lepagien ». Il y a eu beaucoup de moments hilarants, gracieuseté du joueur Courchesne dont on connaît le talent en comédie.
Malgré tout, les exercices ont bien atteint leur cible puisqu’en deuxième partie de spectacle, après un caucus qui a paru rééquilibrer l’ensemble, l’équipe nous a offert une improvisation reprenant plusieurs codes d’écriture et thèmes de Robert Lepage. On nous a raconté l’histoire d’un couple se rendant en Russie pour adopter un bébé, en entremêlant différentes temporalités (passées et futures) et une conférence sur la fécondité, le tout avec une adresse certaine malgré quelques fils demeurés non attachés. La salle, comble, a beaucoup apprécié le récit et a fortement applaudi le talent des improvisateurs.
Autres soirées :
Michel Tremblay – 5 décembre (Distribution B);
Wajdi Mouawad – 6 décembre (Distribution E);
Carole Fréchette – 7 décembre (Distribution E);
Larry Tremblay – 8 décembre (Distribution D);
Michel Marc Bouchard – 9 décembre (Distribution C)