par Daphné Bathalon, à Avignon

PACAMAMBO
L’Entrepôt, 1 ter, boulevard Champfleury

Pacamambo, c’est le lieu de tous les possibles, là où le libre-choix règne. C’est le lieu où vont les gens quand la Lune les appelle, quand la mort vient les prendre. C’est là que Marie Marie, la grand-mère de Julie, est allée et où Julie ne peut la suivre. Avec Le Gros, son chien, la petite fille décide d’attendre la Mort, parce qu’elle a deux mots à lui dire. Trois semaines plus tard, on retrouve Julie et le corps de sa grand-mère dans la cave de l’immeuble. C’est au psychologue qu’elle raconte finalement son histoire, à nous surtout, attentifs dépositaires de cette grande tristesse.

La Lune immense et belle flotte sur cette production de la compagnie Méninas, qui parle de la mort sans jamais être morbide. La metteure en scène de Pacamambo, Marie Provence, a résolument adopté le point de vue de Julie. Elle s’est penchée sur son univers poétique, encore un peu enfantin et naïf, pour parler aux petits comme aux grands de la mort, ce sujet si souvent tabou.

Le texte de Wajdi Mouawad ne cache pas la vérité : la mort est triste, la perte est irrévocable et dure. Révoltée, Julie ne dit pas que des mots jolis, mais son sentiment d’injustice est aussi le nôtre. Tout comme Marie Marie, à la présence rayonnante, on pose sur Julie un regard compréhensif. Qu’est-ce qu’elle a, la mort, à se glisser comme ça chez les gens pour leur dérober ceux qu’ils aiment? Marie Provence laisse parler ce texte fort, transposant sur scène chacune des étapes d’acceptation que traverse Julie. Si elle veut casser la gueule à la mort, c’est avant tout parce qu’elle aime follement la vie.

De tendres moments parsèment la pièce, comme cette danse entre Julie et sa grand-mère, qui n’est déjà plus qu’une ombre, ou la découverte d’une boîte pleine de parfums dans le troisième tiroir de la commode. Pacamambo charme tout en abordant en douceur les questions du deuil, de l’absence, de la peur aussi et de la perte. Pleine de révolte, la Julie de Marion Duquenne est irrésistible et volubile. Complices du public, les personnages du chien (Jean-Jacques Rouvière) et de Marie Marie (Francesca Giuliano), que les spectateurs sont seuls à entendre, montrent quant à eux beaucoup en peu de mots. Ils sont là, complètement là pour Julie. Le chien cabotine un peu, mais déride l’atmosphère en exacerbant les émotions ressenties par Julie et que celle-ci ne comprend pas encore tout à fait. Émus, les spectateurs le sont aussi à entendre ses confidences et sa peine.

OUBLIÉS
Présence Pasteur, 13 rue du Pont Trouca

Une jeune Québécoise à l’aube de l’âge adulte oubliée en rase campagne polonaise. Elle devait se rendre à Auschwitz pour voir et comprendre. La voici au bord de la route : « Je sais pertinemment où je suis, je suis perdue. » Cette fille de partout et de nulle part, née à Jakarta, en partie française, en partie québécoise, se cherche également des repères et des racines. Dans ce coin oublié du monde, elle se heurte à un vieux panneau de distances, à moitié effacé et qui se révèle rapidement aigri d’avoir été laissé pour compte. Puis, elle butte contre un objet métallique enfoui depuis si longtemps sous terre qu’il a oublié sa fonction et sa nature. Enfin, bien sûr, viendra le loup, figure intemporelle des contes. Avec le temps, on a oublié qu’il fallait le craindre. Il n’a plus de dents à présent, mais il peut toujours mordre…

La scénographie d’Oubliés occupe la moitié de la scène. Imposante, peut-être l’est-elle un peu trop… La forêt de tôles et de toiles, dans laquelle l’adolescente attend qu’on la retrouve, est bien belle mais sert relativement peu, quelques acrobaties, une course-poursuite et c’est tout… Néanmoins, la structure offre un beau moment quand le panneau indicateur en étale toutes les voiles pour mieux préciser les distances. Les pôles manipulées par les acteurs sont également de jolis objets, mais paraissent plutôt accessoires à l’histoire. Au contraire, elles semblent encombrer les comédiens plutôt que de servir leur jeu.

C’est une histoire sur l’oubli : ce qu’il ne faut pas oublier, ce qu’on doit oublier pour progresser, ce qu’on préférerait oublier mais qui ne peut l’être… Le texte de Jean-Rock Gaudreault ressemble par plusieurs points à une fable, ici les objets et les animaux parlent le langage des hommes et expriment des émotions tout à fait humaines. Chacun dans leur rôle, le panneau, le morceau de fer et le loup s’en tirent à merveille. Typés et loquaces, menaçants ou réconfortants, ils tourmentent ou questionnent avec délectation l’adolescente jouée par Charlotte Baglan. Le débit rapide et le ton aigu de cette dernière nuisent toutefois au plaisir qu’on a à l’entendre.

Valsant d’abord à deux, puis à trois et à quatre, les comédiens crée une dynamique entraînante tout naturellement. Les discours des personnages sont clairs, leurs questionnements percutants : faut-il se confronter à son passé pour construire son avenir? Dans notre époque technologique, où le monde a soudain rétréci, l’histoire s’écrit à chaque micro-seconde. L’information est à portée de doigts grâce à ce téléphone intelligent auquel la jeune fille s’accroche comme à une bouée. Elle fait partie de cette génération qui ne peut plaindre ses parents, entendre les témoins ou chercher les coupables du désastre des Grandes Guerres…

La mise en scène de Jérôme Wacquiez s’accorde à merveille au texte de Gaudreault, suggérant sans lourdeur le poids du passé et l’importance du souvenir.

 

DIE RINGE DES SATURN / LES ANNEAUX DE SATURNE
Gymnase Aubanel, Festival d’Avignon

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Mon deuxième choix de spectacle au IN du Festival d’Avignon s’est porté, suivant les conseils d’un collègue, sur Die Ringe des Saturn, d »après le roman de W.G. Sebald. Présentée au Gymnase Aubanel du 8 au 11 juillet, cette création de la compagnie Schauspiel Köln, mise en scène par Katie Mitchell, a de quoi déboussoler le spectateur non averti. Mitchell a littéralement mis le texte sur scène en lui donnant vie grâce à des projections vidéo (images d’archives et séquences tirées d’un film 16mm en noir et blanc) et à des bruitages d’une grande qualité.

Dans une chambre d’hôpital sans âme, seul au centre d’une valse d’infirmières et de médecins, un homme se souvient d’un long et lent voyage en Angleterre, dans le comté de Suffolk. La production tout entière baigne dans la nostalgie que dégage le texte de Sebald. Le narrateur marche sur des milles, longeant des côtes ravagées et traversant des villages à moitié désertés. De leur richesse d’autrefois ne subsistent que quelques vestiges. Murs écroulés, terrains en friche, plages abandonnées ; gris, tout est si gris. On marche dans les pas du narrateur, Sebald lui-même, dont on entend la voix et le bruit des bottes dans le gravier ou les hautes herbes. La grisaille gagne à son tour le public. Les premières minutes du spectacle sollicitent une attention de tous les instants pour ne pas sombrer dans la morne mélancolie du récit. Plusieurs spectateurs ont préféré quitter. Il est vrai que la production incite à la torpeur, il faut pourtant s’accrocher pour savourer la richesse du texte de Sebald, considéré comme l’un des plus grands auteurs de langue allemande. S’accrocher pour explorer les landes désolées, pleines de mille et un petits bruits du quotidien auxquels on prête d’ordinaire si peu l’oreille : porte qui claque, tintements d’une clef, eau qui coule d’un robinet ou simple souffle d’une respiration. Avec un luxe de détails, les artistes en scène recréent chaque son très précisément. Ce travail fascinant met en valeur les mots du narrateur, documente minutieusement le voyage de l’homme solitaire. Jamais souvenir n’aura été si riche et précis. On ferme les yeux, on y est.

Les spectateurs non germanophones sont toutefois désavantagés. Tandis qu’ils lisent les sur-titres qui défilent très rapidement, ils devront tout à la fois suivre l’action des bruiteurs et lecteurs à l’avant-scène et porter attention aux vidéos projetées sur les trois écrans. À certains moments, le mur en fond de scène coulisse pour dévoiler la chambre d’hôpital où le vieil homme se remémore sa traversée anglaise… Autant dire qu’on manque d’yeux pour tout voir! On voudrait pourtant ne rien manquer de cette production qui sollicite tous nos sens, du coeur à l’esprit.

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