L’homme qui marchait vers sa mort
par Véronique Voyer
Alors que l’opéra a l’habitude de dépoussiérer des bijoux de l’histoire lyrique européenne, l’Opéra de Montréal s’attarde à un sujet très actuel dont l’action se situe aux États-Unis. Dead Man Walking, de Jake Heggie, explore la tourmente mentale d’un prisonnier qui se dirige vers une mort certaine. Sous une perspective religieuse, cette dernière marche se transforme en kaléidoscope où l’on découvre de quelle manière le drame des uns entraine celui des autres.
Dans les années 80, deux frères violent et tuent un couple qui se bécote près d’un lac en Louisiane. Qui a fait quoi? L’un des frères sera emprisonné à vie alors que l’autre est condamné à mort. Seul face à son sort, Joseph De Rocher (Étienne Dupuis) écrit une lettre à une religieuse. Cette bouteille à la mer se transforme en espoir de salut dans le cœur de la religieuse Préjean (Allyson McHardy) qui refuse de laisser un « enfant du Seigneur » mourir en l’absence d’un visage aimant. Portant ce rôle d’une voix magistrale, elle réalise un tour de force en conciliant jeu et chanson avec une fluidité admirable.
Dieu et les autres
Est-ce que l’apologie de la religion catholique aurait pu être évitée? Car, c’est l’un des éléments majeurs qui restent en tête après cet opéra où les chants religieux sont légion. He will gather us around ; l’auteure de ces lignes reste sceptique. Évidemment, l’époque diffère… Mais si l’action se déroule en 1980, les arguments qui portent l’idéologie chrétienne dérangent, car les fervents n’étaient pas majoritaires en Amérique il y a 30 ans.
Reste qu’il existe bien peu d’options lorsqu’un condamné à mort est seul devant sa détresse. Avez-vous déjà pris le temps de vous soucier d’un inconnu, d’un mal pris, d’une âme esseulée? Alors que la justice offre la peine capitale à cet homme qui clame l’innocence, sœur Préjean est prête à tout entendre, même le pire, et c’est cette ouverture d’esprit qui éclaire cette histoire. Elle souligne que la vérité devient libération et non punition. Ainsi, la notion du pardon prend une tournure universelle et nous amène bien au-delà de la religion et d’un Dieu, qu’il s’appelle Allah, Bouddha ou Jésus.
Ce plaidoyer contre la peine de mort offre des chœurs et des canons vocaux qui amplifient l’impact de la tourmente. Le drame de la mère du condamné et celui des parents de la fille violée sont particulièrement marquants. À travers de multiples répétitions du refrain, les chœurs permettent de revivre la hantise des parents qui regrettent les derniers mots lancés à leur enfant. À travers ce refrain où l’on enfile en boucle « replace tes cheveux, boutonne ta chemise et ferme la porte », les reproches prennent un tout autre sens. On voit mieux l’amour jaillir.
La mise en scène d’Alain Gauthier est grandiose, tout comme les décors d’Harry Frehner et Scott Reid. Entre les grillages métalliques, il y a une prison et tous ces lieux d’attentes où l’on se perd entre une distributrice de coca et des chaises beiges. Les rouages de l’histoire enivrent d’émotions et vu du parterre, cet opéra impressionne, car l’onde de choc se rend jusqu’au dernier balcon aussi appelé… Paradis.