Carrefour 2023 – Cabaret Noir : florilège de contrastes

Carrefour 2023 – Cabaret Noir : florilège de contrastes

Fusionnant la danse, le chant et le théâtre, Cabaret Noir, conçu par Mélanie Demers et produit par sa compagnie MAYDAY, est un spectacle envoûtant, engagé et profondément humain. Sur une scène marquée par les éclairages contrastants de Paul Chambers qui se joue des ombres et de la lumière en magnifiant le corps des interprètes, six artistes polyvalents présentent, dans un amalgame fluide, des numéros musicaux, chorégraphiques et théâtraux qui interrogent, dénoncent et célèbrent la condition noire.

La production débute par la lecture de citations d’œuvres choisies de divers écrivains et écrivaines puisées à même les volumes de leur cru. Le bruit des livres qui sont ensuite lancés dans le centre du plateau, comme si l’on offrait leurs auteurs — Dany Laferrière, James Baldwin, Hergé, Toni Morrison, Rodney Saint‑Éloi, Martin Luther King, etc. — en pâture à la censure, et qui claquent en tombant comme des coups de fouet répétés, donne le ton à cette œuvre de force.

Puis, la symbolique de la couleur noire est convoquée sur scène et le texte de Mélanie Demers sur ce sujet commence sur une citation extraite du Dictionnaire des symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant : « Contre-couleur du Blanc, le Noir est son égal en valeur absolue. » La partition lue par Demers est reprise graduellement par tous les interprètes, créant une sorte de bouillonnement sonore qui ajoute des couches de sens. L’équation du spectacle est dévoilée et les numéros s’enchaînent par la suite, sublimés par les contrastes et les redondances qui enrichissent les œuvres revisitées, dont Jesus Christ Superstar d’Andrew Lloyd Webber et Tim Rice, La 25e heure de Spike Lee, Lance et compte de Réjean Tremblay et Louis Caron, ainsi que plusieurs autres.

Bien que chaque numéro soit indépendant et ait sa propre autonomie, il se dégage de l’ensemble de l’œuvre une forte sensation de communauté et de solidarité. Les interprètes s’encouragent et sont constamment présents les uns pour les autres. Cela donne naissance à des moments très touchants comme lorsque Mélanie Demers vient coiffer Florence Blain Mbaye qui, d’une voix riche et profonde, entonne la mélodie « Je suis noire et belle » issue du Cantique des Cantiques et qui aurait été cavalièrement traduite de l’hébreu par « Je suis belle, mais noire ».

La musique est un élément fondamental de la production. Le montage musical d’Anglesh Major qui a également présidé à la conception de certains morceaux avec Florence Blain Mbaye fait lui aussi appel aux contrastes. Des extraits d’œuvres littéraires au lexique parfois bestial et ordurier sont combinés avec des chants choraux de musique sacrée, la boxe de Mohamed Ali est associée à un air d’opéra et la berceuse créole chantée par la marionnette Doualé dans la première version de l’émission pour enfants Passe-Partout est remixée avec des effets d’amplification et de distorsion qui la rend admirablement cauchemardesque.

Le Noir et le Blanc sont constamment en dialogue dans ce spectacle, tant au niveau du texte que dans les éclairages et les costumes de Sophie El Assaad. Un imposant travail de recherche a dû présider aux choix effectués par Mélanie Demers pour camper son propos. Tout converge vers un même objectif orchestré et chorégraphié avec grâce, puissance et lucidité. À cet effet, les numéros dansés par la flamboyante Stacey Désiliers reflètent particulièrement bien les qualités de l’œuvre.

Chaque moment du spectacle côtoie le sublime. Ceci est éminemment vrai pour la scène d’Othello de William Shakespeare, dans laquelle le personnage éponyme et Desdémone reprennent le même texte en le transformant et en le transcendant par le biais de la musique rap et du chant. La performance soutenue des artistes qui participent à la production est soulignée par la metteuse en scène qui mise sur l’intensité et le caractère, mais aussi sur la vulnérabilité. Avec Cabaret Noir, Mélanie Demers nous offre avec amour et humour une soirée dont le public sort grandi.

Crédits photo Cloé Pluquet, sauf indiqué

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