FTA 2023 – Mémé : Si nos grands-mères nous étaient contées

FTA 2023 – Mémé : Si nos grands-mères nous étaient contées

Sarah Vanhee nous arrive de Bruxelles avec, dans ses bagages, des marionnettes, des histoires et des souvenirs. Proposition intime et touchante, Mémé remonte le fil des mémoires, celles des générations de femmes qui l’ont précédée. Ces filles, femmes et mères qui ont été élevées pour prendre soin des autres, sacrifiées sur l’autel du devoir conjugal et matrimonial, contraintes à labourer la terre pour subvenir aux besoins de leur famille, et au corps labouré pour enfanter à répétition, à en perdre la santé physique et mentale.

En toute simplicité, Vanhee nous ouvre les portes de son histoire familiale et de sa maisonnée en nous présentant d’abord son fils, Leander. C’est pour lui parler de celles qu’il a si peu ou pas du tout connues, qu’elle fouille les archives de la famille à la recherche de rares photos et informations sur la vie de celles qu’elle appelle affectueusement mémé et oma, Denise Desaever et Margaretha Ghyselen. Mais au-delà des dates de naissance, de mariage, de mort, des noms de villages, du nombre d’enfants accouchés, c’est plutôt à travers les témoignages de ses parents, de ses oncles et tantes que Vanhee reconstitue peu à peu les conditions de vie difficile de ces femmes si discrètes sur leur passé.

C’est un spectacle qui se déploie avec lenteur, dans l’écoute et l’empathie. Les récits très imagés que nous offre l’artiste néerlandophone, seule en scène, forment une trame incroyablement vivante et émouvante, qui alterne les doux échanges entre elle et son fils dans l’appartement familial de Bruxelles, et les confidences des enfants des grands-mères. La démarche de Vanhee et la façon dont elle nous parle de ces femmes têtues, courageuses, mais pas exemptes de défauts et de traumas, révèlent une grande admiration envers cette génération dite silencieuse qui a ouvert la voie aux femmes d’aujourd’hui.

Pour raconter leurs vies et ce qu’elles ont transmis, parfois malgré elles, à leurs enfants et petits-enfants (elles en ont eu à elles deux 16 et 46!), Vanhee trouve appui dans la marionnette. Elle insuffle toute sa tendresse pour ses grands-mères dans les figurines représentant la foule d’enfants et de petits-enfants, dans le théâtre d’ombres qui trace le plat paysage belge aussi bien que les épreuves traversées, dans les grandes poupées de chiffon qu’elle borde en invitant ses grands-mères à se reposer, enfin. Sans visage, ces marionnettes ont pourtant celui de tant de grands-mères à travers le monde et ici. Car comment ne pas voir dans le récit de leur vie celui de milliers de femmes québécoises avec leur famille nombreuse, leurs terres à cultiver, le joug de la religion, des convenances, du mari?

La production s’inscrit parfaitement dans la direction que Martine Dennewald et Jessie Mill ont souhaité donner au FTA depuis le début de leur mandat : celle de faire résonner les histoires tues ou oubliées, de nous les faire entendre au-delà d’années de silence, douloureux ou fécond, pour qu’on ne puisse plus les ignorer. Avec Mémé, les lignées maternelles font entendre tout le chemin parcouru : de filles privées de leur liberté de choisir à celles devant qui s’ouvre un horizon de possibilités. L’air de rien, Mémé prend aussi la mesure de ce qui a été perdu, de la terre cultivée à la jardinière de balcon, du réseau familial à la cellule solo.

Hommage au labeur invisible de ces géantes aux pieds d’argile, Mémé propose une certaine forme de réconciliation avec le passé. En ramenant figurativement ses mémé et oma à la vie pour mieux reconnaître leurs sacrifices, Sarah Vanhee leur redonne leur dignité. Une production pleine de tendresse qui fait du bien à l’âme.

Crédit photos Bea Borgers

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