Grandir par le théâtre
par Daphné Bathalon
Aux amoureux de Shakespeare et aux amateurs de bon théâtre d’interprétation, on ne saura que recommander un passage au studio Jean-Valcourt d’ici le 23 juin pour assister à l’une des représentations de la pièce Hamlet, la fin d’une enfance, présentée à l’occasion du festival FRINGE.
Venue de Chartres, la production des compagnies Naxos Théâtre et Les tréteaux de la Pleine Lune trace un parallèle entre le drame vécu par le prince du Danemark, Hamlet, et un jeune adolescent contemporain, barricadé dans sa chambre par refus d’accepter le divorce de ses parents et de rencontrer son beau-père. L’adolescent partage avec Hamlet le désir de venger son père en éliminant la figure du beau-père et en punissant sa mère. La pièce traite de deux sujets bien actuels : celui de la famille recomposée et celui du passage de l’enfance à l’âge adulte. La production française prend pour laboratoire le célèbre texte de Shakespeare qui, s’il a été écrit il y a plus de quatre siècles, est toujours d’une criante actualité. Une relecture efficace et poignante de ce grand texte.
Réfugié dans sa chambre, un jeune garçon s’empare du mythe d’Hamlet pour le faire sien : en un instant, il se transforme en prince, écartelé par un devoir filial de vengeance et la volonté de vivre sa vie : être ou ne pas être? Là commence la réflexion de ce personnage. À l’aide de ses jouets et oreillers, le garçon rejoue toute l’histoire d’Hamlet, depuis l’apparition du spectre paternel jusqu’à la sanglante scène finale, où il va d’ailleurs jusqu’à tuer symboliquement sa mère par le moyen du théâtre d’objets, une catharsis efficace. Ce n’est qu’alors qu’il lui pardonne et quitte sa chambre. Jeux d’enfants, mais questionnements d’adultes, les paroles du jeune prince ne paraissent jamais incongrues dans la bouche de l’adolescent boudeur. Au contraire, elles y trouvent tout naturellement leur place. Hamlet y apparaît encore plus vulnérable et fragile.
Seul en scène, le comédien Thomas Marceul livre une solide performance scénique, prêtant sa voix à tous les personnages importants : le nounours devient Oratio, les coussins prennent les visages du roi et de la reine, un éventail évoque Ophélie tandis qu’un gant illustre l’esprit vengeur de Laërte, même les comédiens de la troupe de théâtre invitée par Hamlet se retrouvent en scène… sous la forme de marionnettes. La scénographie inventive et ludique de Ned Grujic (aussi à l’adaptation et à la mise en scène) sert parfaitement le comédien. Les objets disposés dans l’espace s’inscrivent dans l’histoire. Ils sont en fait si bien choisis que, même encore immobiles dans le décor, on devine en quels personnages l’enfant les transformera. En rejouant le drame shakespearien, celui-ci extériorise sa rage contre le beau-père usurpateur et contre sa mère, qu’il tient en respect hors de sa chambre. La voix de celle-ci, suppliant puis exhortant son fils à sortir de la chambre, est la seule intervention qui rappelle l’existence d’un monde extérieur au huis clos.
La pièce repose totalement sur le talent d’acteur de Marceul, qui incarne tous les rôles, à l’exception de la voix hors champ de la mère. Un tour de force de plus d’une heure qui tient le public en haleine presque de bout en bout, car pour l’amateur du grand Will, difficile de résister à l’envie d’anticiper les scènes et les répliques les plus connues. Heureusement, les essentielles s’y retrouvent, bien que toutes celles qui n’impliquent pas directement Hamlet passent à la trappe. La pièce s’articule autour des tourments d’Hamlet, un choix logique puisque le garçon, qui se projette en lui, se concentre sur sa propre douleur, en rejetant celle des autres. Il y a cependant là la seule déception face à cette très belle production : les personnages secondaires, littéralement réduits au rang d’accessoires de théâtre, de marionnettes ou de jouets, perdent en profondeur. Pourtant, la reine Gertrude et l’oncle Claudius connaissent leur lot de tourments, ainsi que la fragile Ophélie, qui y laisse son esprit. Mais ne boudons pas notre plaisir d’assister à une heureuse relecture de ce grand texte existentialiste!
Le tandem Grujic-Marceul recrée Hamlet avec des bouts de ficelles, un grand respect de l’œuvre et surtout beaucoup de talent. Un talent qu’il ne faut pas tarder à aller applaudir, car la production quitte Montréal ce dimanche.