Par Daphné Bathalon

LE NOMBRIL DU MONSTRE

Le nombril du monstre est le projet un peu fou de Félix Beaulieu-Duchesneau de raconter, dans une bande dessinée réalisée en neuf mois, la grossesse de sa copine, Sandrine, et la naissance de leur premier enfant en 2004. Emballées par l’idée qui leur était présentée, Marcelle Dubois et sa codirectrice artistique invitée, Véronique Côté, ont tout de suite voulu accorder une place à l’auteur dans leur programmation du Jamais Lu afin que son rêve se concrétise.

Photo: David Ospina
Photo: David Ospina

Le nombril du monstre (quel jeu de mots banal, s’empresse de commenter la douce moitié de l’auteur, illustrée elle aussi en B.D.) se présente comme  « une bande dessinée autobiographique et poétique », mais cette étiquette se révèle n’être que la portion congrue d’une œuvre théâtrale hybride portée avec feu par son auteur, metteur en scène et interprète principal.

Figure caricaturée de l’auteur, le Félix du Nombril du monstre échange, tout au long de la pièce, avec une statue de Félix Leclerc, à qui il confie ses joies et ses peurs, mais aussi les monstres qui l’habitent et qu’il ne parvient pas à représenter sur papier.

Dessin de Félix Beaulieu-Duchesneau
Dessin de Félix Beaulieu-Duchesneau

En quelque 25 chapitres, dont certains attendent encore d’être illustrés, Félix s’applique à nous raconter les événements tels qu’ils se sont déroulés, de l’annonce de la grossesse aux nuits blanches suivant la naissance. D’abord lancé sur le ton de la comédie, Le nombril du monstre nous entraîne rapidement sur une pente de plus en plus intime : la question de la paternité. Comment, à travers les différentes étapes de la grossesse, un jeune homme se transforme-t-il en père? Après neuf mois à voir le ventre de sa copine pousser, devient-on soudainement un papa, prêt à affronter les nuits d’insomnie et toutes les autres difficultés du quotidien? Comment ce « papa en gestation » vit sa propre évolution?

Porteurs d’une vision toute masculine de la grossesse et de la paternité, le texte et les dessins de Félix Beaulieu-Duchesneau forment une œuvre étonnant et extrêmement touchante, qui trace un parallèle entre création et procréation.  En puisant dans son expérience personnelle et en refusant de censurer même les moments les plus embarrassants de son histoire, l’auteur s’offre dans toute sa vulnérabilité et fait vibrer la corde sensible à plusieurs reprises. Il se confie à nous à cœur ouvert tant par la parole qu’en dessins, projetés en fond de scène. Parfois plus naïfs, parfois plus expressifs et parfois même plutôt sombres, ses dessins relatent les événements à leur façon.

Dessin de Félix Beaulieu-Duchesneau
Dessin de Félix Beaulieu-Duchesneau

Félix Beaulieu-Duchesneau et sa bande dessinée nous font passer par toutes sortes d’émotions. Par moments décapant, le texte remue également des souvenirs de naissances, de déchirements, de doutes et de deuils. La mise en lecture — qu’on qualifierait plus volontiers de mise en scène — signée par l’auteur et par son ami Jean-François Nadeau, est aussi vivante et vibrante que le texte. Quand la très belle musique de Sigur Ròs vient colorer de magnifique manière la représentation dessinée de la naissance de Simone, le bonheur de cette soirée est pour ainsi dire complet.

LA FÊTE SAUVAGE

Pour boucler ce 13e Jamais Lu, sept auteurs et quatre musiciens ont répondu à l’appel de Véronique Côté, en participant à l’organisation d’une fête sauvage sur le thème de l’appartenance et de la célébration.

Véritable fête des mots et des images, La fête sauvage dont Côté signait la mise en scène, a réuni le public et les artistes autour de la chanson comme autour d’un feu de camp.

Sans jamais tomber dans le piège du nationalisme à tout crin ou du patriotisme exacerbé, les auteurs nous ont offert des textes personnels et percutants, qui ont bercé une très belle soirée.  Le regard des auteurs sur le Québec et les Québécois n’a pourtant rien de tout rose, le printemps 2012 semble en avoir marqué plusieurs tant les espoirs qu’il avait fait naître ont finalement déçu; Libéraux et Conservateurs en prennent aussi pour leur grade, mais la fête ne se laisse pas si facilement éteindre…

Sous un ciel en train de s’illuminer et dans un éclairage aux couleurs chaudes, La fête sauvage présentait un très heureux mariage des différentes plumes, un juste équilibre entre les chansons pamphlétaires ou intimes, et les passages humoristiques, comme le désopilant récit de Joëlle Bond en fille du roi. Certains textes se sont détachés du lot, notamment les propositions très directes de Francis Monty et celles, plus pince-sans-rire, de Justin Laramée. Les fresques d’Hugo Latulippe, quant à elles, sentaient bons les bois, les lacs et les grands espaces. Le style de cet auteur, qui n’est pas sans rappeler la poésie de Richard Desjardins, côtoyait avec bonheur les envolées flamboyantes de Steve Gagnon.

Cette belle diversité de styles se reflétait aussi dans les compositions, parfois plus rock et parfois plus près de la ballade, de Benoit Landry. Ses compositions ont fait merveille, et la voix magique de la chanteuse Chloé Lacasse a élevé encore plus haut les paroles au souffle déjà porteur. Quel travail abattu par le compositeur Benoit Landry, qui assumait la direction musicale du spectacle, lui qui a eu trois semaines pour trouver le ton et la note justes pour ces nombreux textes!

La fête sauvage a toutefois évité de peu de se transformer en « show de chaises » : sa formule un peu figée où chaque auteur ou interprète venait prendre place à tour de rôle au micro avant de regagner sa chaise, rendait l’ensemble plutôt statique. Heureusement, la fête brûlait au cœur des mots.

Dans une salle pourtant frigorifique, La fête sauvage a su allumer le feu et réchauffer les cœurs.

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