Fables animalières à Avignon
Par Daphné Bathalon
Au deuxième jour
Lundi 14 juillet 2014
Malgré un coucher tardif — la représentation du Prince de Hombourg s’étant terminée vers les minuit trente et la vie nocturne d’Avignon se prêtant mal au sommeil — je suis de nouveau prête à partir à la découverte de spectacles dès le matin. À 11h, je me présente au joli théâtre de La Caserne des pompiers, à quelques pas des remparts est. Les rues sont encore tranquilles à cette heure, on croise les premiers spectateurs et les artistes en pleine préparation pour une nouvelle journée de tract.
J’entame ce 14 juillet, jour de fête nationale, dans une salle bien remplie pour Couac, un court spectacle librement inspiré du Vilain petit canard d’Anderson, et destiné aux enfants à partir de 2 ans. Dès la première minute, le spectacle signé Angélique Friant enchante les petits et les grands présents dans la salle. De jolies projections en noir et blanc, dont les traits simples et naïfs rappellent les dessins d’enfants, nous invitent à nous envoler dans les nuages où nous découvrons une cigogne porteuse d’un gros oeuf. Rapidement, cet oeuf lui échappe, dégringole à travers les nuages, atterrit dans un nid de canard… et donne naissance à un drôle d’oiseau. Est-ce un pélican, un flamand rose, un pingouin, un hibou, un aigle?
Couac traite avec humour et originalité du thème universel de la découverte de soi. À la naissance, on découvre d’abord son corps, ses membres et le mouvement, puis, en grandissant, on apprend qu’on est différent des autres, unique… « Je vis, je vibre, je tremble, j’entends, je mords, je joue, je suis. Je suis. » L’oisillon disgracieux qui s’agite sous nos yeux tente de trouver son identité en se comparant aux autres oiseaux. Il se définit d’abord par ce qu’il n’est pas : il ne supporte pas le froid, il a peur de la nuit, il ne sait pas pêcher… Tout en douceur, on l’accompagne dans sa quête avant d’inspirer avec lui lorsqu’il prend finalement son envol.
À la manière des différents instruments de musique dans Pierre et le loup, la trame sonore de Couac donne la parole aux autres animaux de la fable, et crée une ambiance féérique propice aux découvertes et aux apprentissages. Des ombres chinoises et des projections en deux dimensions bien intégrées au spectacle mettent quant à elles en relief chacun des mouvements de la danseuse et comédienne Chiara Collet.
La création de la compagnie Succursale 101 offre à vivre et à goûter un magnifique moment de poésie, une petite bulle artistique hors du monde. Couac est en effet de ces spectacles qu’on prend plaisir à déguster un tableau à la fois et qui, une fois terminés, continuent de vivre en nous.
Mon parcours me guide ensuite au théâtre des 3 Soleils, à quelques pas de là, pour assister à une représentation de L’année de la baleine, récit d’un naufrage. Nous sommes ici dans un tout autre univers et dans un tout autre ton. Seul en scène, le comédien Jacques Michel n’a quasiment rien pour le soutenir dans son récit : seule une chaise lui sert parfois de navire et un panneau bleu suggère à la fois le ciel et la mer. Il n’aurait, de fait, même pas besoin de ces accessoires pour tenir son public captif. De sa voix grave, il entame la lecture de son journal de bord, tenu en décembre 1991, en pleine mer, alors que le bonheur semblait rayonner de partout, comme le soleil. Du moins jusqu’à ce que le monstre surgisse de la mer et fracasse leur fragile catamaran…
Le texte de Véronique Ros de la Grange, écrit en collaboration avec le comédien, qui a vécu cette traversée extraordinaire, nous fait voyager bien loin de la petite salle des 3 Soleils et nous donne à voir le caractère infini de la mer, la fragilité de l’existence et l’obsession d’un homme pour une rencontre qu’il ne parvient pas à oublier. Il la ressasse sans arrêt, incapable de chasser de son esprit l’oeil immense dans lequel il aurait pu se perdre.
C’est en premier l’émerveillement devant le groupe de cachalots qui émergent de l’océan, puis le saisissement devant cet oeil immense qui les observe par dessus bord, et enfin la terreur quand l’énorme cachalot passe à l’attaque. Naufragé puis rescapé par un paquebot battant pavillon japonais, le narrateur n’a ensuite de cesse de mettre en parallèle la beauté incommensurable des couchers de soleil et l’horreur de l’attaque par ce Moby Dick des temps modernes. Le récit semble d’abord étrangement détaché : malgré la qualité de la narration, il manque un contact avec le public. Pendant la première partie du spectacle, le comédien ne regarde pas les spectateurs, son regard balaie la petite salle comme s’il s’agissait d’une grande et ne pose pas les yeux sur nous. Il se crée une distance qui nuit à la relation qui pourrait s’installer entre nous, une situation qui se rétablit heureusement en deuxième partie, tandis le narrateur embarque à bord du paquebot japonais.
La pièce mêle souvenir véritables, fragments du récit de Herman Melville (Moby Dick) et réflexions philosophiques. Si elle pèche, par moments, par excès de lyrisme, elle est néanmoins puissamment portée par le souffle de Jacques Michel (qu’une brève panne électrique n’a pas su déstabiliser).
Aujourd’hui, petite pause de spectacles, le temps d’écrire mes critiques, mais c’est pour mieux repartir dès le lendemain! Au programme : théâtre jeune public, fête foraine, marionnettes, et bien sûr, humanité…