Marionnettes en folie – deux jours au Festival de Casteliers, dernière partie
Grâce à l’accueil toujours exceptionnel de l’équipe du Casteliers et de sa codirectrice générale et directrice artistique Louise Lapointe, notre rédac’ chef David Lefebvre a pu assister à sept spectacles lors de la plus récente édition du Festival de Casteliers. Voici son compte-rendu et ses critiques, en trois parties.
par David Lefebvre
DERNIÈRE PARTIE
Retour sur le Café causerie
Dimanche matin. Croissants, pains au chocolat et café nous attendaient patiemment au Théâtre Outremont pour la discussion qui allait porter sur quatre spectacles en chantier, de la compagnie Les chemins errants (Sherbrooke), du Collectif Graham Soul & Jean Cummings (Montréal), de Marcelle Hudon en coproduction avec le Théâtre de la Pire Espèce (Montréal) et de Magali Chouinard (Saint-Lambert).
Au fil des années, les cafés causerie deviennent de plus en plus élaborés, prenant des airs de showcases, de présentation devant diffuseurs, plutôt qu’une réelle discussion sur les méthodes de création et sur la gestation des projets. Quoi qu’il en soit, l’événement est toujours aussi passionnant, convivial, chaleureux et couru par ceux et celles qui s’intéressent au monde de la marionnette et de la manipulation d’objets.
Les chemins errants, ce sont deux jeunes femmes, Karine Gaulin et Édith Beauséjour, qui créent des spectacles pour la petite enfance. Leur troisième projet, Au train où vont les choses, propose l’histoire de Boris, un petit robot qui se rapièce, grâce aux morceaux de métal que laissent les trains derrière eux, et qui souffre de solitude. D’abord inspirées par la tragédie du Lac-Mégantic et le besoin d’aborder ce sujet délicat avec les jeunes de la région, les deux femmes ont bifurqué pour parler d’amour : est-ce que ça existe de l’amour qui ne flétrit jamais ? Les plantes meurent, le métal rouille… Les techniques utilisées seront le théâtre d’ombres et la manipulation à vue. Au train où vont les choses, qui vise les 4 à 10 ans, sera présenté au festival Petits bonheurs au printemps prochain et à L’Assomption.
Deux grands hommes du monde de la marionnette, soit Jean Cummings et Graham Soul, se sont unis pour élaborer Coucou, l’histoire imaginée par Pierre Gélinas d’un oiseau mécanique au coeur d’une horloge coucou qui cache un monde bien occupé. La structure du pendule sera impressionnante, dépassant les deux mètres de haut, et sera rotative pour que l’on puisse voir le monde intérieur de l’horloge. Pièce sur le temps, qui nous manque, que l’on doit trouver, la pièce pour les 5 ans et plus pourra être présenté, si tout va bien, à la fin de l’automne 2016.
La maîtresse du théâtre d’ombres, Marcelle Hudon, s’attaque au roman de Robert Louis Stevenson, L’étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde. Intitulée pour le moment L’effet Hyde, la pièce, écrite par Francis Monty, qui n’en est pour le moment qu’à ses balbutiements, proposera comme technique le théâtre d’ombres, le masque et la marionnette. On pourra assister aux premiers laboratoires en novembre ou décembre prochain, aux Écuries. Fait à noter, ce sera Bernard Falaise qui s’occupera de la trame sonore, en direct.
L’artiste fort sympathique en art visuel Magali Chouinard, à qui l’on doit La femme blanche, a présenté Âme nomade, encore à l’étape embryonnaire. Elle désire aborder avec cette nouvelle création les mouvements intérieurs et «établir un contact de proximité avec le public». À l’instar de ses créations antérieures, le spectateur, interpellé, se retrouvera au centre de celle-ci. En jouant avec les échelles et les projections, Magali Chouinard explorera avec beaucoup de poésie visuelle le masque, la marionnette, les ombres, le théâtre de papier, le film animé et la vidéo, et ce, dans des endroits insolites.
La causeuse (Sens équivoc’)
Une causeuse trône au centre de la scène. Des mains la caressent, dansent l’amour, puis flirtent ensemble, pour devenir la métaphore d’un couple qui se fait et se défait. Une jeune femme (Olivia Faye Lathullière) jaillit de derrière le fauteuil, et tente de s’asseoir, cherchant une position confortable, sans succès. À mi-chemin entre la danse, le mime et le théâtre d’objets, La causeuse propose plusieurs éléments très intéressants. Olivia Faye Lathullière décortique par le geste les relations amoureuses et les moments de solitude. Les mains, qui prennent une importance capitale dans le récit, se multiplient, une paire, puis deux, et collent sur son corps, la massent frénétiquement, la font danser, l’attirent. On glisse vers le fantasme, le romantisme lugubre, vers le triangle amoureux, puis vers la disparition de soi, alors que la jeune femme s’engouffre dans la causeuse, qui l’avale complètement et recrache une mousse épaisse. Plusieurs longueurs minent malheureusement la narration visuelle, pourtant empreinte de poésie et de mystère, et la dramaturgie est encore relativement mince. On se raccroche à peu de choses lors des 45 minutes de la représentation qui aurait pu explorer davantage le monde intérieur de la jeune interprète, ou même celui du meuble de salon.
Lire la critique d’une précédente version de La causeuse, de passage à Illusion Théâtre en 2013
Caws and Effect (Mind of a Snail, Vancouver)
En clôture du festival, la compagnie vancouvéroise Mind of a Snail présentait Caws and Effect, une pièce aux propos écologiques, racontée du point de vue d’un oiseau. Utilisant une méthode presque archaïque de projection, soit deux rétroprojecteurs à acétates, Chloé Ziner et Jessica Gabriel, enfilant la personnalité et les plumes de deux corneilles, racontent la vie de ces deux oiseaux singuliers, dérangés tout à coup par l’homme qui bâtit une ligne électrique au milieu de leur forêt. Curieuses, elles voleront jusqu’où mènent les fils, soit Montrer-Ailes (lire Montréal, clin d’oeil pour le festival), une ville polluée qui voit les ours se nourrir dans les poubelles. Les volatiles ne sont pas à l’abri, le plastique étant un danger imminent pour ceux qui sont affamés. D’abord d’une facture colorée, visuellement plaisante et rappelant la peinture sur vitre, la pièce voit les personnages et les décors apparaitre sur un immense drap blanc en fond de scène, créés directement sur les rétroprojecteurs, après l’arrivée des deux corneilles qui croassent et battent des ailes. Les dialogues se font à l’intérieur de phylactères et proposent souvent de savants jeux de mots inspirés du vocabulaire rattaché aux oiseaux. Puis, les couleurs deviennent plus ternes, le trait plus abstrait, alors qu’on entre dans la ville. La mort frappe, sans équivoque, et l’histoire se pare alors d’une lourde tristesse, où l’espoir est presque laissé en plan – un moment bien étrange, qui laisse songeur. Sans être moralisateur, le récit laisse tout de même un goût amer.
Les deux artistes utilisent le jeu d’acteur, la manipulation d’acétates et le dessin pour faire évoluer l’histoire, parfois en juxtaposant toutes les techniques pour former un joli théâtre d’ombres et de lumière. Plutôt simple, la dramaturgie mériterait de faire l’objet d’une recherche un peu plus fouillée. Mentionnons par contre la trame sonore, à la guitare et au piano, qui offre un univers musical riche et diversifié.
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La 12e édition du Festival de Casteliers aura lieu du 8 au 12 mars 2017