Grâce à l’accueil toujours exceptionnel de l’équipe du Casteliers et de sa codirectrice générale et directrice artistique Louise Lapointe, notre rédac’ chef David Lefebvre a pu assister à sept spectacles lors de la plus récente édition du Festival de Casteliers. Voici son compte-rendu et ses critiques, en trois parties.

par David Lefebvre

PARTIE 2

Louis Riel : A Comic-Strip Stage Play (The Rustwerk Refinery / Zach Fraser)

Photo : Sabrina Reeves
Photo : Sabrina Reeves

Toujours samedi. Je me dirige vers le sud, plus précisément à La Chapelle, pour assister à la représentation d’après-midi de Louis Riel, une adaptation théâtrale de la bande dessinée de Chester Brown (publié en anglais chez Drawn & Quarterly et en français chez La Pastèque). Le bouquin parcourt sur 280 pages l’histoire épique du héros métis des Prairies, plutôt méconnu ici. Si la pièce, par contrainte de temps et complexité du sujet, tourne quelques coins ronds, elle propose, sans temps mort, un résumé enlevant de l’histoire de Riel, de la défense des droits des colons dans l’ouest du pays et de la mainmise des Anglais sur la politique canadienne au 19e siècle. Spectacle bilingue par la force des choses, les interprètes et manipulateurs Charles Bender, James Loye, Cat Lemieux, Anne Lalancette et Jon Lachlan Stewart, sautant d’une langue à l’autre, joue avec aisance et aplomb. Comme l’adaptation reste authentique à sa source, les personnages et les décors, découpés dans le carton, tous en noir et blanc, manquent évidemment un peu d’éclat, de couleur. Heureusement, le jeu dynamique des comédiens remédie à la situation, et quelques trouvailles – des membres qui bougent, entre autres, à la surprise du public – font éclater de rire. Ludique, éclaté et audacieux, Louis Riel : A Comic-Strip Stage Play amuse et instruit tout à la fois : espérons que les écoles pourront profiter de cette pièce, qui pourrait facilement partir en tournée.
(Pour lire la critique complète de ma collègue Marie-Luce Gervais qui avait couvert la pièce, cliquez ici)

Monsieur Qui? (Belzébrute)

J’avais pu assister, en janvier 2014, aux premières représentations de Mr P., au Gesù, publiant au passage une critique étoffée sur le spectacle. Cumulant qu’une quinzaine de représentations depuis sa création, la pièce est pourtant d’une efficacité exemplaire. Elle raconte avec beaucoup, beaucoup d’humour la montée d’un chanteur de cabaret (qui a la bouille de Monsieur Patate, possible métaphore de la vedette aux allures interchangeables) vers les plus hauts sommets de la gloire hollywoodienne, puis de sa chute vertigineuse.  Heureusement, Pogo, son plus fidèle compagnon (un chien saucisse qu’il a adopté après l’avoir sauvé d’hommes cruels) deviendra sa bouée de sauvetage.

Photo Georges Dutil
Photo Georges Dutil

La pièce nous transporte dans l’univers des années 30 ; la musicienne Amélie Poirier-Aubry, sourire aux lèvres, portant robe crème et perles, circule parmi les spectateurs pour recueillir les 5 cents nécessaires pour faire fonctionner une machine à images, un amalgame de castelet, de nickelodeon et de scopitone. Jouant du piano et des percussions, c’est son jeu d’un instrument maison (un bâton et une corde tendue sur une bassine de métal retourné), au son ressemblant à une contrebasse, qui étonne et fait sourire.

Abordant l’épuisement professionnel, mais aussi la nécessité de savoir dire non, Monsieur Qui? est une véritable épopée dans la culture populaire des dernières années. En chanson, on passe de Gene Kelly à Renée Claude, d’Elvis à Psy, en passant par Félix, Vigneault et Jackson. Sur le petit écran surélevé, placé au-dessus de la musicienne et agissant comme support narratif au spectacle, quelques flashbacks sont projetés, ainsi que certains extraits de Monsieur P. participant aux plus grands succès cinématographiques de notre époque – moments hilarants garantis. L’interprétation d’Éric Desjardins et de Jocelyn Sioui, qui enfilent tour à tour le masque du personnage principal, est bluffante. L’adaptation pour le jeune public semble avoir été relativement simple : on coupe, remplace et actualise quelques blagues, on échange les dépendances à la drogue et à l’alcool pour celle aux boissons gazeuses (le sucre est aussi une drogue), et le tour est joué. Un superbe spectacle, terriblement amusant, qu’on espère revoir bientôt sur les planches montréalaises et québécoises.

The Table (Blind Summit Theatre, Angleterre)

Après la représentation de The Table de la compagnie britannique Blind Summit Theatre, une phrase était sur toutes les lèvres : il faut avoir vu « ça » au moins une fois dans sa vie. Car The Table, aussi simple que soit le synopsis, s’avère une véritable classe de maître, un cours 101, 102 et 103 sur la manipulation de la marionnette, d’une folie tout anglaise provoquant immanquablement l’hilarité, et ce, grâce aux nombreuses répétitions qui appuient les gags, la vivacité d’esprit et les moments de silence et d’immobilité qui jouent avec le rythme du spectacle.

Tristram Kenton, The Guardian
Tristram Kenton, The Guardian

Moïse, une marionnette de type bunraku (manipulée par trois personnes), au corps mou et à la tête sculptée dans du carton, est tout à fait consciente de son état. Alors qu’elle désire raconter la genèse du spectacle The Table, soit la mise en scène des 12 dernières heures, en temps réel, du prophète Moïse sur le mont Nébo, comme relaté dans le Deutéronome par Moïse lui-même (!), le tout dérape : la marionnette, parfois sarcastique, parfois ironique, philosophe sur sa condition, sur son univers – la table – qu’elle nous fait visiter d’un coin à l’autre, le mesurant d’un pas décidé. Elle tente de charmer une spectatrice de ses mouvements lascifs, elle perd des morceaux, se moque subtilement de ses manipulateurs et des surtitres qui ne suivent pas… Bref, c’est le bordel. Mais quel extraordinaire bordel ! Les trois marionnettistes, Mark Down, Nick Barnes et Sean Garratt, font preuve d’une maîtrise exceptionnelle et absolue de leur art, qui frôle le génie. Alors que la marionnette explique, par la théorie et la pratique, les trois éléments primordiaux de la manipulation – le regard, ou focus, la respiration et le point fixe – Down, Barnes et Garratt en ont plein les mains. Moïse court, danse, tombe et leur échappe presque ; Moïse n’est plus une marionnette, mais une quatrième entité sur scène, indépendante. Saisissante, ahurissante, The Table, dans toute sa simplicité, est une pièce aux proportions beckettiennes épiques et extraordinaires. Casteliers a frappé un grand coup en invitant la compagnie à présenter la toute dernière mondiale, à Montréal, de The Table, permettant ainsi aux festivaliers de profiter de chaque seconde de ce spectacle totalement déjanté – et aux marionnettistes de s’éclater lors de brillants et désopilants moments totalement improvisés.

À suivre, dernière partie – retour sur le Café causerie, La causeuse, Caws and Effect

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