La 12e édition de Petits Bonheurs, festival qui se dédie aux créations jeune public, s’est ouverte le 5 mai dernier. Daphné Bathalon et Olivier Dumas assisteront à une quinzaine de spectacles  pour notre plus grand plaisir – et le leur!

Par Olivier Dumas

Le jardin de Babel

Au Collège de Maisonneuve, c’était au tour d’une  production du Théâtre de l’Œil, l’orchestrateur de réalisations grandement appréciées comme Le cœur en hiver et Le Porteur, de charmer son auditoire. Écrite par Marie-Louise Guay, cette vingtième création de la compagnie trimbale son baluchon depuis 1999. La patine du temps n’a aucunement altéré le charme poétique de ces attachantes marionnettes.

Dans une mise en scène d’André Laliberté, la pièce, d’une durée de quarante-cinq minutes, raconte l’histoire d’un jeune garçon prénommé Babel, à la longue mèche jaune, évoquant le célèbre Riquet à la houppe. Par une journée pas comme les autres, les moutons, qui volent comme par magie dans le ciel, broutent les nuages, tandis que les lapins poussent dans le potager à la place des carottes. Un autre personnage, Signor Rapini (qui suscite des fous rires lorsque les enfants  découvrent sa carrure imposante), attrape un nain avec sa canne à pêche. Avec ses nouveaux compagnons, le protagoniste se rend dans un château. Mais la princesse, d’abord invisible en raison d’un mauvais sort, leur fait, par la suite, vivre une multitude de surprises.

En plus de ses accents jazz, la musique de Libert Subirana puise dans des chansons ancrées dans la mémoire collective, comme Savez-vous planter des chouxLe bon roi Dagobert, ou encore J’ai un beau château. La scénographie, très imaginative, comprend une toile aux couleurs multiples en fond de scène, trois collines superposées, et par la suite des tours imposantes. Dans cet esprit aussi inventif, mentionnons le travail sensible des quatre manipulateurs-narrateurs.

Le jardin de Babel, crédit Michel Pinault
Le jardin de Babel, crédit Michel Pinault

Les impressions demeurent aussi favorables que celles très élogieuses d’une critique antérieure de ma collègue Daphné Bathalon. Dès les premiers instants, les échos de surprise fusent à différentes occasions : aux apparitions de nuages qui voltigent dans les airs, à la vue  du roi bedonnant, accoutré comme un pirate avec une longue barbe bleue et à l’excursion dans les souterrains du château. La superbe séquence est illustrée par des jeux d’ombres. En plus de son enchantement visuel, Le jardin de Babel s’avère être, en finesse et subtilité, une ode à la différence et une invitation à confronter ses peurs les plus secrètes.

Suites curieuses

Les contes s’invitent dans la présente édition des Petits Bonheurs. En plus d’ateliers autour des Trois Petits cochons et de Boucle d’or et les trois ours, le Petit chaperon rouge se réincarne sous la houlette de la chorégraphe Hélène Blackburn et de sa compagnie Cas Public.

Au Collège de Maisonneuve, le spectacle revient sur les planches de la métropole, près de 18 mois après sa création. Pendant une quarantaine de minutes, quatre interprètes, trois garçons et une fille, redonnent une nouvelle vie à cette fillette curieuse imaginée par Charles Perrault au 17e siècle. Malgré les changements d’époque, sa rencontre avec le loup dangereux continue de fasciner les générations de bambins.

Suites curieuses
Suites curieuses

Pourtant, l’adaptation très libre de la célèbre histoire esquive la galette et le petit pot de beurre. De plus, l’héroïne n’a besoin d’aucun papa-chasseur pour se sortir du ventre du vorace prédateur. La représentation s’amorce avec un bref film d’animation où se rencontrent les deux figures principales. De taille minuscule, la gamine apprend à déjouer les manigances de l’animal noir et imposant, dans une atmosphère rappelant les batailles entre Titi et Grosminet des Looney Tunes. Quelques secondes plus tard, les artistes en chair et en os exécutent leurs énergiques pas de danse (dont quelques mouvements de break dancing), alors qu’un train minuscule sur des rails tourne autour de la scène. Seules quelques références permettent d’établir des liens avec le récit initial, principalement les objets de couleur rouge, dont des nez de clown, des chaises miniatures et des morceaux de vêtements. L’image de la grand-mère apparaît même fugitivement sous les traits d’une pomme, que l’un des interprètes masculins croque avec un sourire malicieux.

L’une des grandes forces de cette œuvre scénique réside dans son renversement des images manichéennes, longtemps associées aux deux êtres antagonistes. Principalement incarné par la danseuse, mais aussi par ses partenaires, le chaperon ne craint pas l’inconnu et ne se place jamais en position de victime. La conception musicale réunit habilement des pièces électroacoustiques et classiques, comme Golliwog’s cake-walk, un extrait de la suite Children’s Corner de Claude Debussy. Ces Suites curieuses nous charment donc par leur regard insolite sur cette fiction aux nombreuses potentialités.

Mémoire de Lou

Toujours au même endroit, la plus récente création du Théâtre de l’Avant-Pays séduit également. Sous la plume de Julie-Anne Ranger-Beauregard, elle explore une quête initiatique, pendant près d’une heure.

Précédemment, la compagnie avait conçu une proposition remarquée, Ma mère est un poisson rouge – qui prendra l’affiche de la Maison Théâtre la saison prochaine. Pour la présente réalisation théâtrale, dirigée par Patrick Martel, nous assistons aux questionnements de Lou, un attachant petit garçon. Celui-ci vit sur une île, représentée par un quai de bois et de nombreux sacs de sable. Il s’amuse avec ses amis poissons, malgré sa peur de nager, en plus d’écrire ses pensées dans un carnet. Or, règne une fontaine tyrannique qui avale tout ce qui a le malheur de se retrouver «sur son chemin». Le protagoniste reçoit la visite inattendue d’une libellule, qui lui propose un voyage, enveloppé dans un baluchon. Ce périple entraîne de nouveaux liens, et surtout une découverte de soi et de ses frayeurs.

Mémoire de Lou, crédit Yves Martin Allard
Mémoire de Lou, crédit Yves Martin Allard

Les trois manipulateurs-interprètes confèrent une vie propre et frémissante à toutes ces créatures, très différentes les unes des autres. Par sa voix et ses gestes, Éloi Cousineau s’imprègne parfaitement des nuances de Lou, tant et si bien que nous oublions presque qu’il s’agit d’une marionnette. Lorsqu’une famille d’éléphants surgit comme une bourrasque, un humour plus loufoque émane de l’ensemble, jusqu’ici assez doux. La «petite Monique»  se détache de son clan et demande l’aide à son nouveau copain pour retrouver sa parente, «Toutoune», un pachyderme à la peau rose.

Les diverses composantes de la pièce manquent encore d’harmonie pour atteindre une parfaite exécution scénique. Les allusions à Longueuil et à son Boulevard Taschereau brisent aussi légèrement le climat poétique. Par contre, des moments d’une grande beauté ponctuent ce récit traitant de la nécessaire confrontation avec son passé, son présent et son avenir. Avec un simple drap bleu scintillant sur la tête, Zach Fraser incarne le cours d’eau dans toute sa puissance. Les projections vidéo de la mer, vers la fin, tout comme la scène, où un personnage plus âgé prépare délicatement Lou pour son retour chez lui, demeurent profondément émouvantes, et ce, même après la fin du spectacle.

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