(CRITIQUE) OFFTA – La vie en reel III + CPA [Consistent Partial Attention]
Qu’on se le dise, les Sabines de La vie en reel III : restructuration organisationnelle n’ont rien à voir avec celles de Marcel Aymé et encore moins avec l’enlèvement de celles du peintre néo-classique Jacques-Louis David. Ces Sabines sont plutôt les jumelles Caroline et Charles-Antoine, abandonnées à leur naissance à l’infirmerie du Club Med de La Havane. Non désirées et encombrantes, elles comprennent très vite l’importance de constamment procéder à la restructuration de leur propre image pour s’adapter à celle que l’on projette sur elles.
La production de la compagnie Les Sabines, qui ouvrait le programme double formé avec CPA [Consistent Partial Attention], se construit à partir de nombreux extraits vidéo, adroit mélange d’archives familiales diverses, issues du temps du caméscope, et de vidéos virales récentes. Aux vidéos de vacances, de compétitions et de moments cocasses tirées de vieilles cassettes VHS fortuitement trouvées par les Sabines se superpose le récit de leur vie, en voix hors champ, comme dans une musicographie faite en série.
La performance, d’une vingtaine de minutes, suscite bien des rires et des sourires grâce à la juxtaposition absurde des faits racontés et des images souvent complètement hors sujet. L’humour des Sabines rappelle par moment celui des productions du Théâtre du futur, surtout dans le ton du récit, et celui du groupe télévisuel Les Appendices. Le processus créatif de La vie en reel manque cependant encore singulièrement de fini. L’idée d’appliquer la notion de restructuration organisationnelle à l’être humain offre pourtant des avenues très intéressantes, mais Les Sabines demeurent en surface, misant davantage sur le comique absurde de leur fiction que sur les répercussions de ces multiples « restructurations ». En résulte un programme court d’abord intrigant, mais qui laisse le spectateur sur sa faim.
La deuxième partie du programme double s’est révélée nettement plus consistante. La production de 75 minutes CPA [Consistent Partial Attention], de Freya Björg Olafson, présentée dans un format de 45 minutes pour le OFFTA, propose d’explorer la notion de présence dans le moment (« nowness ») dans un monde dominé par le virtuel. Quand les écrans occupent tout l’espace et tous nos sens, et que les images captent toute notre attention, que signifie encore « être présent »?
Le titre de la production fait référence à un concept réel et étudié, le « continuous partial attention », soit l’état d’un individu qui cherche à porter attention à tout dans un effort pour ne rien manquer, et qui peut se transformer en syndrome, plus connu, le « fear of missing out », auquel on attribue de plus en plus de cas d’épuisement professionnel ou même de dépression.
Sur scène, trois danseurs s’exécutent, les yeux rivés sur des écrans dont le public ne voit que le dos. Il devient vite évident que les interprètes s’efforcent de reproduire devant nous les gestes des personnes dans les vidéos qui leur sont présentées. Ils dansent, replacent une caméra fictive, ajustent leurs vêtements, s’interrompent pour changer de place (en suivant les ordres d’un invisible maître de cérémonie). Concentrés sur leurs écrans, où dansent des gens seuls dans l’intimité de leur maison, les interprètes bougent ensemble sur scène en étant totalement aveugles à ce qui les entoure, coupés les uns des autres tout autant que du public. Leur individualité s’efface alors qu’ils deviennent les intermédiaires par lesquels les spectateurs regardent des vidéos qu’ils ne peuvent voir.
Alors que notre attention est constamment sollicitée de partout au quotidien, nous n’accordons au final qu’une attention très partielle à un peu tout. Le spectacle d’Olafson l’illustre simplement et efficacement, avec une touche d’humour noir bienvenue. En 45 minutes, la production semble toutefois rester dans l’exploration conceptuelle. Une impression que la pièce originale, en 75 minutes, atténue peut-être.