Avignon : Jour 7 – Dernière scène

DAPHNÉ À AVIGNON – DERNIÈRE PARTIE

Suivez notre collègue Daphné Bathalon dans son périple à Avignon, centre névralgique du théâtre en Europe durant la saison estivale !

20 juillet 2018

Le dernier jour est toujours particulier, le coeur encore ici, la tête déjà ailleurs. Je collecte les tracts machinalement, n’écoutant que d’une oreille le boniment pour un spectacle que je ne verrai pas puisque mon horaire du jour est rempli. Je tournerai bientôt le dos au manège du festival même si je cumule les critiques encore à écrire. Avignon ne me quittera pas avant quelques coups de crayon.

Il ne me reste que deux spectacles à l’horaire en ce vendredi 20 juillet. Mon séjour se terminera cette année avec deux productions présentées au IN. Je suis encore tentée d’ajouter un dernier show en fin de soirée, histoire de dire, mais ça ne serait pas très raisonnable. L’avion n’attendra pas demain matin…

À 10 heures, après avoir fait un petit détour au marché des Halles pour rapporter quelques produits à Montréal, j’emprunte pour une dernière fois la spectaculaire rue Peyrollerie et je me rends à la plus petite, mais non moins magnifique, des salles du festival : la Chapelle des pénitents blancs, pour y voir une création en théâtre jeune public.

 

LÉONIE ET NOÉLIE
Compagnie L’envers du décor

Léonie et Noélie © Christophe Raynaud de Lage

Sur scène se dresse une structure métallique, impressionnant chevauchement de toits que des jumelles de 16 ans, Léonie et Noélie, transforment en refuge et en poste d’observation. En fuite d’un monde qui les rejette, elles se glissent ce jour-là sur les toits pour mieux observer l’incendie qu’elles viennent d’allumer dans leur foyer d’accueil.

Que tout flambe, de leur naissance, de leur enfance, de leur passé! Rêves, angoisses, souvenirs, peurs, espoirs et même amours naissants, tout y passe tandis que Léonie achève d’apprendre tous les mots du dictionnaire pour devenir très intelligente et que Noélie maîtrise enfin l’art de la stégophilie (escalade des toitures). Leurs objectifs sont atteints, leurs humiliations de jeunesse presque effacées. Il est temps pour Léonie et Noélie de grandir.

Le très joli texte de Nathalie Papin explore tout en douceur les thèmes de la gémellité, de l’altérité et de la fin de l’enfance. Avec ses deux héroïnes incendiaires aux allures d’Alice gothique, l’auteure expose une enfance fusionnelle au moment de son inévitable schisme, de ce grand saut dans le vide qu’est le passage à l’âge adulte. Le texte est riche de réflexions sur la force requise pour s’extraire d’un milieu étouffant, sur l’urgence de grandir, et la peur qui l’accompagne, et sur cette volonté de s’affranchir de l’image que l’autre nous renvoie.

Léonie et Noélie © Christophe Raynaud de Lage

À la mise en scène, Karelle Prugnaud multiplie les effets de miroir. D’abord, elle donne aux jumelles un pendant masculin, Mattias, simultanément incarné par deux champions de free-run (une discipline proche du parkour, mais accordant plus d’importance à la beauté et à l’expressivité du mouvement). Puis, elle dédouble les jumelles en projetant sur trois écrans de jeunes versions de celles-ci, qui nous fixent d’un regard limpide et brûlant de détermination.

Entre acrobaties, musique urbaine très présente, flashs de lumière et projections vidéo de part et d’autre de la scène, la multiplication a vite fait d’enterrer la poésie du texte. L’irruption de figures d’autorité en vidéo casse tout autant la dimension onirique dans laquelle texte et scénographie nous invitent à prendre appui un instant. Heureusement, tant les free-runners que les deux actrices déploient sur scène une énergie juvénile qui fait plaisir à voir. Daphné Millefoa et Justine Martini, en Léonie et Noélie, s’inspirent des gestes l’une de l’autre pour développer un langage gestuel commun, que viennent souligner les déplacements athlétiques et dynamiques de Yoann Leroux et Simon Nogueira.

Production à l’équilibre précaire, Léonie et Noélie, manque de temps pour respirer. Cela explique sans doute pourquoi, malgré le bel esthétisme de la scénographie, les trouvailles visuelles de la mise en scène et la poésie du texte, l’ennui du spectateur guette.

***

Je n’aurais pas cru un jour voir un Tartuffe à Avignon, moi qui ne porte pas un grand amour à Molière. C’est pourtant ma destination en cette fin de séjour. L’avouerai-je? C’est d’abord la photo promotionnelle de la production qui a capté mon attention… Et puis, le grand auteur français revisité par une compagnie lituanienne, ça promet de ne pas être banal, non?


TARTIUFAS

Lithuanian National Drama Theatre

Tartuffe © Christophe Raynaud de Lage

Pour le metteur en scène de théâtre et d’opéra Oskaras Koršunovas, les Tartuffe d’aujourd’hui sont les acteurs principaux du populisme radical qui gagne toute l’Europe, et même au-delà. En tant qu’hypocrite assoiffé de reconnaissance, de richesse et de pouvoir, Tartuffe se révèle expert en relations publiques, en manipulation d’images et, bien sûr, au jeu de la politique.

La production du Lithuanian National Drama Theatre propose un Tartuffe plus techno que clavecin et dentelle. Les perruques prennent rapidement le bord de même que le 4e mur, délicieusement fracassé en introduction par Mme Pernelle (hilarante et sarcastique Nelé Savičenko). Dans cette adaptation, Mariane s’amuse avec les filtres Snapchat, Tartuffe met à jour son statut Facebook, Damis, le fils d’Orgon, joue à des jeux vidéo et Elmire a des allures de Marilyn Monroe. En dépit du labyrinthe végétal qui occupe la scène, on est très loin de Versailles! Et c’est tant mieux, car la relecture que fait Koršunovas de Tartuffe est aussi irrésistiblement drôle qu’elle se montre caustique. La classe politique y passe à la casserole, de même que tous ces faux dévots modernes qui, sous couvert de servir au peuple ce qu’il demande, se servent en fait eux-mêmes, et généreusement. Leurs terrains de jeu, les réseaux sociaux et les médias, sont également égratignés grâce à des captations vidéo déformées, recadrées ou soigneusement dirigées. Ainsi, sous des allures de spectacle burlesque et post-baroque au rythme frénétique, Tartiufas livre en fait un manifeste contre le populisme aussi bien que contre le pouvoir de l’image (qui séduit si fort Orgon) et les dérives du pouvoir médiatique.

Dans la scénographie volontairement kitsch (et franchement magnifique), les personnages égarent leurs principes moraux, leurs convictions sociales et leur perception de la vérité. Sur scène, toute la distribution s’amuse dans le dédale et rivalise d’irrévérence dans ce Tartuffe ouvertement outrancier. Accompagnés en coulisses par une caméra, ils y abandonnent leurs postures ou impostures pour relaxer en fumant une cigarette, pour se costumer ou pour discuter entre eux, parfois sans sous-titres! Tartuffe, lui, multiplie les regards au public, descendant et sortant même de la scène pour aller se mêler, sur vidéo, à la foule en liesse dans les rues d’Avignon lors de la victoire toute récente à la Coupe du monde. En bon politicien, il serre les mains, se prend en photo et se fait du capital humain. Ce Tartuffe incarné par Giedrius Savickas ressemble de manière troublante à bon nombre de nos politiciens.

Propagande, manipulation de l’image et de l’information, populisme, corruption, le Tartiufas de Koršunovas offre une relecture politique diablement divertissante et efficace où la vérité ne triomphe pas toujours…

***

Quel fabuleux orage pour terminer mon séjour! Plus d’une heure trente d’éclairs, de tonnerre, de pluie et même de la grêle. Cette nuit, Avignon sera lavée à grande eau de ses tracts et affiches. Qu’il pleuve, que le Mistral souffle ou que le soleil du Midi plombe, de toute manière, la ville demeure magnifique. Mais moi, j’ai déjà le coeur et la tête à Montréal… Ce soir, je défais mon mur d’affichettes et de billets, une façon comme une autre de m’approprier le logement pendant ma semaine d’explorations théâtrales. Et puis, je refais mes bagages.

 

Au revoir Village du OFF et tes rangées d’affiches suspendues!

Au revoir rues et places animées!

Au revoir si nombreux théâtres, artistes et créateurs!

Au revoir Avignon!

Bon été!

 

LA 72e ÉDITION DU FESTIVAL D’AVIGNON EN CHIFFRES

47 spectacles – 224 représentations dans 40 lieux, 108 437 billets délivrés, soit un taux de fréquentation de 96,27%. Il faut ajouter les 43 206 entrées libres des manifestations gratuites, soit un total d’entrées de 151 643.

Les chiffres du OFF

ÉDITION 2018
• 1 538 spectacles
• 133 lieux dont 125 théâtres
• 1 211 spectacles présentés pour la première fois à Avignon
• 150 spectacles jeune public
• 168 spectacles venus de l’étranger

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