FIAMS 2019 jour 1 – de rocheuses et de merveilles

par David Lefebvre

Le Festival international des arts de la marionnette de Saguenay s’est ouvert mardi dernier, le 23 juillet, pour une petite semaine de festivités, de découvertes et de rencontres. La biennale offre encore une fois une programmation étonnante, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur, dont à la superbe Place du Citoyen entre la rue Racine et le boulevard Saguenay à Chicoutimi.

MonTheatre ne pouvait rater l’occasion d’assister à certains spectacles et publier quelques comptes rendus de son expérience.

JOUR 1

TOMMELISE

Après la traversée du parc des Laurentides, très peu de temps nous est accordé pour apprécier le soleil radieux de la journée : direction Chicoutimi pour assister au premier spectacle au programme, Tommelise, de la compagnie montréalaise Illusion, théâtre de marionnettes. MonTheatre a déjà publié une critique pour ce spectacle, en 2017 (voir ici). Largement inspiré d’un conte de Hans Christian Andersen, Tommelise (connue aussi sous le titre Poucette ou son nom anglophone Thumbelina) raconte l’histoire d’une petite fille/fée née d’une étrange fleur, qui saura affronter ses peurs et partir à l’aventure pour s’affranchir et mieux se connaître. Tout en conservant quelques personnages, dont le crapaud, le poisson, le papillon et un oiseau, le spectacle s’éloigne allègrement du conte d’origine en sabrant dans les nombreuses obligations de mariage que fuit Tommeline. Ici, l’héroïne confronte la nature, la rigueur de l’hiver, ainsi que ses propres peurs, et ce, tout en douceur, à l’instar des autres spectacles de la compagnie.

L’originalité de Tommeline tient au jumelage de la marionnette et de la danse, classique ou contemporaine. L’idée du mouvement (la grâce, le mime, la manipulation) est au coeur de la démarche de la créatrice Sabrina Baran. Pour cette série de représentations, c’est la danseuse Claude Bellemare (Ample Man Danse) qui joue l’alter ego de la petite fille, avec souplesse et aisance. Et si la magie opère si bien, c’est notamment grâce à la musicienne Maryse Poulin qui signe et interprète en direct la superbe trame sonore mélangeant sons de la nature reproduits grâce à ses instruments et douces mélodies.

Photo Michel Pinault

CELLE QUI MARCHE LOIN

Présentée en première nord-américaine, Celle qui marche loin est la plus récente production d’Ombres folles (à qui l’on doit les excellents Quichotte et Les routes ignorées), en coproduction avec la Cie du Roi Zizo (France). C’est par l’entremise de Serge Bouchard que Maude Gareau rencontre «Madame» Marie Iowa Dorion Venier Toupin, la première femme qui traversa trois fois, à pied, les Rocheuses – en compagnie de ses deux enfants! Pionnière sioux extraordinaire, elle fait partie de ces «remarquables oubliés», comme le dit si bien Bouchard, qui ont forgé l’Amérique moderne. Avec la complicité de son collègue à l’écriture, à la mise en scène, à la scénographie et à l’interprétation Gildwen Peronno, Maude Gareau nous replonge au coeur de nos connaissances acquises (qui a découvert l’Amérique en premier? Colomb? Les vikings? Des indigènes d’Australie?) pour briser les clichés et redéfinir plus adéquatement le continent nord-américain avec un brin de féminisme plutôt bien placé («parce que ce sont les vainqueurs, hommes, blancs, qui écrivent l’histoire»).

Les techniques d’Ombres folles, liées à celles du Roi Zizo, sont toujours simples, mais rudement efficaces : par exemple, avec une corde épaisse, on dessine par terre les contours du continent. Puis on déverse un sac de billes pour illustrer les nombreuses tribus des Premières Nations. L’image est parfaite. Grâce à plusieurs objets (maisonnettes, bouteilles, roches, scies égoïnes) cachés dans deux caissons noirs sur roulettes, ainsi qu’à la trame musicale d’Olivier Monette-Milmore, les deux interprètes plongent les spectateurs au coeur de cette histoire absolument épique et exceptionnelle, mais, surtout, véridique, entre Saint-Louis au Missouri et Fort Astoria en Oregon. On ne peut qu’applaudir le travail des deux compères, qui, de manière tout aussi ludique que passionnante, nous intéresse à des personnages que la grande Histoire a mis de côté.

Photo Jean-Michael Seminaro

AISSELLES ET BRETELLES

Direction chez «l’habitant» pour une représentation hors-norme. Il serait périlleux de résumer Aisselles et Bretelles, tant les inspirations et ramifications sont nombreuses. Mais tentons tout de même une approche. L’interprète, Guylaine Rivard (qui signe aussi la mise en scène et la conception avec Éric Chalifour), s’est plongée dans les contes de notre enfance et s’est amusée à prendre un détail de Blanche Neige, puis d’Alice au pays des merveilles, de la Belle au bois dormant, de la princesse au petit pois, de Boucle d’or et de mille autres fables (en plus de quelques personnages de l’actualité, ce qui donne parfois un côté grinçant, presque irrévérencieux au spectacle), pour créer une courtepointe qui fait étonnamment sens. Quoique parfois décousu (la trame narrative mériterait quelques resserrements – la compagnie n’en est qu’à ses toutes premières représentations), le tout réserve tout de même de bien belles surprises à chaque envolée vestimentaire. C’est que l’originalité du spectacle réside dans la superposition de tissus que la comédienne retire un à un, dévoilant des décors et des personnages, ainsi que des accessoires savamment cachés dans des doublures et des interstices. Son corps devient alors le théâtre de cette histoire abracadabrante, cousu de fil blanc, mais dont on connaît invariablement chaque détail.

Aisselles et Bretelles du Théâtre Cri est le genre d’OVNI auquel on aime bien assister en cours de festival.

Photo Alexandre Girard

MonTheatre devait ensuite assister au spectacle Dissection, mais n’a pu entrer dans la salle, faute de place.

ALICE ET LES VILLES INVISIBLES

Alice et les villes invisibles de la compagnie espagnole ONÍRICA MECÁNICA s’avère, peut-être, le spectacle le plus ambitieux de ce début de festival. Si elle plait immédiatement grâce à ses nombreux effets et à l’ambiance sombre qu’un Joël Pommerat ne renierait pas, la production plafonne rapidement sans véritablement proposer de nouvelles pistes de réflexion sur le récit centenaire de la petite Alice et du lapin blanc.

La création reprend essentiellement les moments clés du récit : le lapin en retard, Alice qui tente de le poursuivre et chute dans le terrier pour aboutir dans un labyrinthe. Sa rencontre avec la Chenille, ainsi que celle avec le Chapelier fou lors de la fameuse (et lassante) heure folle du thé, puis le jugement de la Reine de coeur qui exige qu’on la décapite.

Néanmoins, la production se démarque grâce à sa signature visuelle exceptionnelle. Grâce à des jeux de lumière savamment découpés, trois panneaux en Plexiglas que l’on déplace aisément ou encore certaines projections captées sur le tissu ultraléger de drapeaux que l’on fait voler, Jesús Nieto impose une esthétique tout aussi expressionniste que moderne qui en jette. D’ailleurs, le plastique se retrouve partout dans ce spectacle, du survêtement transparent qui protège la robe d’Alice aux masques des lapins et du Chapelier, soit deux gros bidons ; une expérience avec la matière qui se transforme en un message environnemental. La conception sonore de Pedro Guirao, qui use des basses fréquences avec assurance, flirtant ici avec les mélodies planantes de Vangelis à la Blade Runner, là avec celles de René Dupéré du Cirque du Soleil, ajoute une couche supplémentaire à l’effet spectaculaire de la production.

On aurait aimé que cette énième version d’Alice nous marque davantage, mais il serait injuste de nier l’expérience sensorielle parfois saisissante à laquelle Alice et les villes invisibles nous convie.

MonTheatre est au FIAMS à l’invitation du festival

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