A Midsummer Night’s Dream: Humour et esprit
par Daphné Bathalon
Nous en parlions déjà il y a quelques années : il est possible de voir des productions étrangères à Montréal. Outre quelques salles de la métropole (de plus en plus nombreuses), certains cinémas offrent aussi cette chance, notamment grâce à la série du National Theatre Live, présentée ici par Cineplex. Depuis l’an dernier, il est même possible de visionner des productions au cinéma Quartier Latin!
Malheureusement pour les personnes moins à l’aise en anglais, les présentations sont pour le moment seulement offertes en version originale sans sous-titres. Ça peut être embêtant quand une production se fait dans un niveau de langue plus soutenu ou si les acteurs jouent avec un fort accent. C’est le cas de la production du Bridge Theatre de Londres, A Midsummer Night’s Dream, mais on aurait tort de bouder son plaisir pour autant, car cette adaptation de la célèbre comédie de Shakespeare se révèle aussi spirituelle qu’amusante.
Réunis au centre de la grande scène du Bridge Theatre, les spectateurs forment dans un premier temps la cour hétéroclite et bavarde du roi Thésée. Celui-ci reçoit un de ses sujets dont la fille, la belle Hermia, refuse d’épouser le gentilhomme qu’il a choisi pour elle, Démétrius. Amoureux fou d’Hermia, celui-ci est désespérément aimé de la jeune Héléna, qu’il rejette à répétition. Hermia, quant à elle, aime Lysandre dont elle est aimée en retour. Sans le savoir, leurs destins à tous sont étroitement liés aux remous qui secouent le monde féérique, où le roi Obéron et la reine Titania sont en pleine querelle… Ajoutez au tableau un esprit malicieux nommé Puck et une troupe de théâtre amateur formée d’ouvriers, et vous avez la fantaisie amoureuse qu’est Le songe d’une nuit d’été.
Sous ses dehors légers, Le songe aborde des thèmes encore bien pertinents aujourd’hui. L’adaptation qu’en fait le metteur en scène Nicholas Hytner a ceci de merveilleux qu’elle détourne certains aspects de la pièce sans en trahir le sens pour mieux mettre en lumière des enjeux que Shakespeare abordait en filigrane. Entre autres choix intéressants, l’échange de rôles entre Titania et Obéron. Ainsi, c’est désormais Obéron qui refuse de donner à sa reine le petit enfant qu’elle convoite, et c’est Titania qui fomente une terrible et humiliante vengeance contre son époux. Hytner ne se contente pas de redistribuer les répliques (dont certaines sont encore prononcées par leur propriétaire initial), mais transforme également la nature de leur relation et, par le fait même, les jeux de pouvoir et de séduction. La proposition se révèle plus érotique, certes, mais surtout plus jouissive et complexe.
L’apport physique et même acrobatique des acteurs est pour beaucoup dans la réussite de ce spectacle dynamique et drôle. On a droit à quelques numéros de cirque aériens qui évoquent bien l’univers féérique dans laquelle se déroule l’histoire. David Moorst, dans le rôle de Puck, trouve particulièrement sa place dans ce monde onirique. Doté d’une énergie qui semble inépuisable et armé d’un solide accent irlandais, il incarne à merveille la malice de cet esprit des bois, n’hésitant pas à interagir avec le public à quelques reprises. L’acteur, qui n’avait jamais fait d’acrobatie au ruban avant le début des répétitions, démontre une aisance toute naturelle dans les airs aussi bien qu’au sol. Autre talent en scène : l’interprète de Bottom, Hammed Animashaun, dont chacune des apparitions déclenche l’hilarité. La scène finale, quoique longuette, où lui et sa troupe jouent devant la cour le drame de Pyrame et Thisbé, est à se tordre de rire. En roi (à la fois Thésée et Obéron), Oliver Chris flirte bien entre comédie et noblesse, et certains de ses regards en disent beaucoup sur le sous-texte de la pièce. Gwendolyne Christie, tête d’affiche de la production, prête sa forte carrure à une Titania déterminée, plus intraitable et en contrôle que dans la pièce de Shakespeare, mais dont la tendresse pour les pauvres amoureux, peu importe leurs penchants ou leur nature, dénote une grande empathie. L’actrice, surtout connue pour son rôle dans la série Game of Thrones, donne ici une performance très différente, mais à laquelle on adhère tout aussi totalement.
Le dispositif scénique, bien que lourd (il faut plusieurs techniciens pour le manipuler), offre une aire de jeu 360° aux comédiens, une rare disposition qui permet plusieurs interactions dynamiques entre les personnages, qu’ils soient au sol, juchés sur des tréteaux ou suspendus dans les airs. Les nombreux déplacements de décor déconcentrent toutefois, surtout nous, sans doute, qui regardons le grand ballet des scènes par le truchement de cadrages parfois assez larges. Dans l’ensemble toutefois, cadrage et montage offrent une vision immersive de la production en nous faisant voir à la fois l’action et les réactions tout en englobant le public au milieu duquel les acteurs se déplacent.
Dans ce Songe d’une nuit d’été, la forêt des mal-aimés se transforme en lieu de célébration de l’amour, non sans quelques détours et écorchures à l’âme ou à l’orgueil. La mise en scène de Hytner parvient à charmer avec humour et esprit.