(Critique) The Winter’s Tale: La jalousie règne
par Daphné Bathalom
Pièce tardive de William Shakespeare, Le conte d’hiver (The Winter’s Tale) offre un aspect bicéphale, ou même tricéphale : tragédie en première partie, comédie en deuxième partie et dénouement heureux, qu’il n’est pas facile de mettre en scène. D’ailleurs, la pièce n’est certes pas la plus montée des oeuvres de l’auteur élisabéthain, du moins dans la francophonie.
La version signée Kenneth Branagh et Rob Ashford, présentée en 2015 à Londres, a pour sa part su trouver son public en plus de recevoir un bel accueil de la critique. La production, captée par l’équipe du Branagh Theatre Live, bénéficie d’une nouvelle courte série de projections dans certains Cineplex de Montréal en décembre (consultez l’horaire ici), une rare occasion de voir le grand acteur et réalisateur britannique en action sur scène. L’équipe technique et la production ont d’ailleurs fait un excellent travail de prise de vues, variant les angles sans les multiplier inutilement et offrant quelques gros plans bienvenus.
La tragicomédie Le conte d’hiver se déroule au royaume de Sicile, où le roi Léonte (Branagh), sa femme Hermione (Miranda Raison), leur ami Polixène (Hadley Fraser), roi de Bohème, ainsi que toute la cour célèbrent la fin de l’année. Mais le bonheur ne dure qu’un temps et le roi de Sicile se transforme sous le violent effet du poison nommé jalousie. Croyant voir planer chez sa femme et son ami et presque frère Polixène l’ombre de l’adultère, il passe de mari bienveillant et bon père de famille à bourreau et tyran. Il pousse son ami à l’exil, fait enfermer sa femme et répudie sa fille nouvellement née. La cour se vide, les coeurs se meurent et une grande tristesse semble vouloir figer le royaume pour toujours. Le deuxième acte nous fait faire un bon de 16 ans dans le temps et ramène des jours ensoleillés, puis des retrouvailles « inattendues » avant que de nouvelles alliances au troisième acte fassent de nouveau briller la lumière au coeur du royaume.
La production modernise la pièce sans changer le texte en plantant l’histoire dans un riche manoir puis dans une campagne idéalisée de l’Europe de l’Est, bergers, paysans et rites festifs inclus. Véritable carte postale de Noël, la scénographie de Christopher Oram se déploie sous les branches d’un grand conifère, et sous des arches d’abord enveloppantes, puis menaçantes alors qu’elles projettent leurs ombres comme des griffes se refermant sur la famille royale.
La mise en scène touche sans détour aux aspects plus sombres de la pièce: dépression, jalousie, iniquité et tourments moraux. Branagh offre d’ailleurs une remarquable interprétation de la détresse psychologique de Léonte et de sa jalousie irraisonnée et irraisonnable, aussi brutale que ses racines semblent profondes. Face à lui se dresse un personnage de femme forte, la Paulina de Judi Dench, qui distribue les coups de fouets verbaux avec une droiture admirable dans la tempête. Ces deux acteurs forment un tandem redoutable sur scène, bien soutenu par le reste de l’imposante distribution. En couple d’amoureux candides mais à l’esprit vif, Jessie Buckley (Perdita) et Tom Bateman (Florizel) donnent beaucoup de fraîcheur et de vigueur au deuxième acte, aussi égayé par l’Autolycus voleur et opportuniste de John Dagleish.
Sous la direction de Branagh et d’Ashford, la pièce révèle plus de profondeur dans les motivations des personnages, même s’il demeure bien difficile de croire à leurs changements brusques de convictions et de comportements. Les malheurs de la reine Hermione surviennent trop rapidement pour qu’on s’en émeuve, la mort du jeune Prince ne touche pas davantage, et la réconciliation finale est presque choquante tant elle semble se produire par magie. Heureusement, l’impeccable jeu d’acteur de la distribution rattrape les incongruités de l’histoire et permet de passer un bon moment.
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