(Critique) All my sons : Mensonges et vérités au cœur de l’Amérique
par Daphné Bathalon
Première pièce à succès du célèbre auteur américain Arthur Miller, All my sons (connu en français sous le titre Ils étaient tous mes fils) fêtait en 2017 ses soixante-dix ans. Pourtant, malgré le passage des années, la pièce continue d’être montée régulièrement même au Québec, comme si le drame de la famille américaine au centre de cette histoire en avait encore long à dire au public d’aujourd’hui.
Les Keller vivent une vie paisible dans leur maison d’une banlieue américaine paisible. Des deux fils partis à la guerre, un seul est revenu, l’autre est porté disparu depuis cinq ans. La mère ne croit pas à sa mort. Le père travaille à faire fructifier son entreprise, même si le voisinage continue à cancaner sur l’accusation de négligence criminelle après avoir vendu des pièces d’avion défectueuses pendant la guerre; accusation dont il a été acquitté. Le retour d’Annie, la fiancée du fils disparu, vient cependant bouleverser la normalité de façade maintenue par la famille Keller…
Montée au printemps 2019 au Old Vic Theatre, à Londres, par Jeremy Herrin, la pièce fait cet hiver l’objet de projections sur grand écran sur plusieurs continents. La captation par le National Theatre Live était ainsi présentée à Montréal en janvier dans le cadre des Événements Cineplex De la scène à l’écran. Amateurs de drames familiaux, allez voir la pièce en supplémentaire le 5 février 2020 au cinéma Quartier Latin si vous en avez l’occasion, car la coproduction du Old Vic et de Headlong offre de solides performances d’acteur.
La distribution réunit en effet sur scène les grands acteurs américains Sally Field et Bill Pullman, ainsi que deux jeunes vedettes britanniques, Olivia Coleman (Victoria) et Colin Morgan (Merlin). Sally Field, en mère de famille angoissée et frêle, mais en même temps solide comme le roc lorsque vient le temps de défendre l’unité familiale, se démarque tout particulièrement. Elle livre une performance nuancée qui fait surgir, jusque dans les zones grises de ce qui est moral ou immoral, des accents parfois féroces. En fils survivant, Morgan propose une interprétation nerveuse, qui allie une grande fragilité personnelle et le feu ardent d’une colère qui ne demande qu’à exploser. Dans la peau de Joe Keller, Bill Pullman manque un peu de combativité et son accent marqué mange malheureusement plusieurs de ses répliques, mais dans les dernières scènes, le désespoir grandissant dans lequel il fait plonger son personnage pardonne ces faiblesses.
Le réalisme de la pièce trouve écho dans la méticuleuse scénographie signée Max Jones, qui transpose sur scène une petite partie de l’Amérique avec cette adorable maison de banlieue, ce jardin propret entouré de clôtures de bois, le tout baigné dans ce qui semble être une éternelle lumière de fin d’été. On s’y croirait. La maison est si imposante qu’elle occupe tout l’espace, reléguant les personnages à l’avant-scène et bouchant tout horizon, comme si, enfermée dans ses mensonges et aveuglements, la famille Keller n’avait aucune porte de sortie.
Sous ses airs de tragédie classique dans une mise en scène qu’on jugera plutôt conventionnelle, All my sons livre un brillant plaidoyer sur les responsabilités morales personnelles et collectives de ses personnages, une histoire touchante de figure paternelle déboulonnée et de parole libérée. La production du Old Vic va droit au cœur d’une humanité toute teintée de gris.
Prochaines projections :
Hansard (National Theatre Live)
Les fourberies de Scapin (Comédie Française)
Cyrano (National Theatre Live)
Pour voir toute la programmation : cineplex.com