Les filles et les garçons : hommage à la résilience

Les filles et les garçons : hommage à la résilience

Les filles et les garçons, une production de La Manufacture mise en scène par Denis Bernard, se retrouve sur les planches de la Bordée du 7 au 18 décembre 2021. Créée dans sa version originale au Royal Court Theatre à Londres en 2018, ce monologue du dramaturge anglais Dennis Kelly pose un regard critique, sensible, mais acerbe, sur la société et ses violences. L’écrivaine Fanny Britt (Bienveillance, Hurlevents, Les Maisons, Faire les sucres…) en est à sa cinquième traduction de l’auteur dont elle qualifie les oeuvres « (d’)odes à la bouleversante capacité qu’ont les humains de persister à chercher la lumière, même dans le plus sombre des gouffres ». Et sa description ne peut être plus juste! Dans un arc narratif brillamment ficelé, Kelly nous invite à porter une écoute attentive et empathique envers son personnage qui se reconstruit à la suite d’un drame. Cette femme, anonyme, interprétée par Marilyn Castonguay, s’adresse au public pour raconter sa vie à partir du moment où elle rencontre l’amour, celui qui deviendra le père de ses deux enfants. Elle retrace leur histoire, de leurs premiers émois à leurs premiers accrocs, jusqu’à ce qu’elle appelle leurs « engueulades nucléaires », ces disputes houleuses qui, peu à peu, mettent à mal leur vie conjugale et familiale.

La pièce commence dans une ambiance de comedy night, dans un décor sobre composé d’un tabouret en bois et de trois murs de projecteurs de lumière qui délimitent l’espace scénique. Comme pour lancer son one-woman show, la protagoniste galvanise les spectateurs et spectatrices, les incite à l’applaudir alors qu’elle danse au rythme d’une musique entraînante. Dynamique, elle enchaîne les anecdotes et les punch-lines, micro-casque au bout des lèvres. Son stand-up se transforme peu à peu en une confidence troublante. Ses plaisanteries s’espacent de plus en plus. La catastrophe qu’elle a vécue se révèle tranquillement à nous et, avec elle, la structure du décor change; le mur à l’arrière-scène se scinde en deux au fur et à mesure que les problèmes de la protagoniste font surface, dévoilant un salon chaleureux, mais croche, en vue plongée. Dans l’ensemble, l’emprunt stylistique au spectacle d’humour se prête étonnamment bien au propos, il l’allège et permet de digérer les multiples brèches insérées dans la narration comique, celles qui font qu’on découvre, au compte-goutte, l’épreuve qu’a traversée le personnage principal. De plus, la forme simple du comedy night dessert efficacement le texte dramaturgique, en le mettant entièrement de l’avant, porté uniquement par l’interprète. La performance solo de la comédienne Marilyn Castonguay s’avère, d’ailleurs, tout à fait époustouflante. Elle incarne, avec une générosité sans bornes cette protagoniste à la résilience incroyable. La pièce met en valeur l’amplitude du talent de Marilyn Castonguay, alors que son personnage passe par un éventail complexe d’émotions.

L’oeuvre de Dennis Kelly nous expose aux réflexions lucides d’une femme victime du dégoût grandissant que son mari ressent envers elle, de la rancoeur qui prend forme chez cet homme alors que, contrairement à lui, sa conjointe accumule les succès professionnels. Les filles et les garçons nous invite à poser un regard, quelque peu cynique sur la socialisation différenciée selon le genre, sur la masculinité et sur la manière dont les hommes intérioriseraient des pulsions violentes, trop souvent aux dépens des femmes.  Cela dit, la pièce présente aussi une perspective plus optimiste; une lueur d’espoir émane du discours du personnage principal, notamment quand, les yeux pleins d’eau, elle parle de sa guérison et de la lumineuse solidarité qu’elle entretient avec d’autres survivant.es d’un pareil drame.

Enfin, la production Les filles et les garçons n’est accompagnée d’aucun trauma-avertissement, que ce soit sur le site du théâtre ou dans le programme du spectacle. Or, la pièce en elle-même est conçue de sorte à instaurer un « espace sûr » ou, du moins, à désamorcer et à dédramatiser les segments plus éprouvants. En intercalant les déclarations-chocs d’anecdotes cocasses, parfois salaces et un brin vulgaires, la structure du texte atténue la gravité des propos et, de facto, la tragédie qui se sent à venir. La musique planante et enveloppante de Fanny Bloom ainsi que les changements d’éclairages qui soulignent le contraste d’ambiances aident également à faire retomber la tension dramatique. Au fond, l’ensemble de l’oeuvre nous prépare à recevoir le témoignage final de la femme, malgré l’absence d’avertissement au préalable. Aussi, avant de se lancer dans « le vif du sujet », la protagoniste (mais ne serait-ce pas aussi la comédienne et l’équipe de production?), d’un ton posé et bienveillant, rappelle au public qu’il sait déjà, à ce point-là de la pièce, ce qu’elle va finir par raconter. Elle annonce que « ça s’en vient », puis précise que l’événement en question n’est arrivé à personne dans l’audience et, surtout, « n’arrive pas en ce moment ». Sa voix, déchirée par le récit bouleversant qu’elle nous relate, se répercute dans toute la salle, avec une charge émotive étonnante qu’on ressent dans le poids qui semble tomber sur les épaules des spectateurs et spectatrices, dont on entend les soupirs désolés, compatissants. Les filles et les garçons donne lieu à un difficile, mais nécessaire rassemblement autour d’un enjeu social sur lequel, de toute évidence, on ne peut plus fermer les yeux.


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Calendrier

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Du 7 au 18 décembre 2021

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