Manuel de la vie sauvage : la captation au service des leçons

Manuel de la vie sauvage : la captation au service des leçons

Adaptée du roman homonyme de Jean-Philippe Baril Guérard, auteur qui signe aussi l’adaptation du texte pour la scène, la pièce Manuel de la vie sauvage avait été présentée au Théâtre Duceppe, devant public, à l’automne dernier. Grâce à la collaboration de la réalisatrice Anne Émond, le spectacle originalement mis en scène par Jean-Simon Traversy fait maintenant l’objet d’une captation cinématographique disponible à l’achat depuis le 6 janvier en format « Vidéo Sur Demande » (VSD). Se présentant davantage comme un long-métrage où les interprètes sont filmés de près malgré un côté théâtral suggéré par la scène qui fait office de plateau et le bris du quatrième mur à plusieurs reprises, ce divertissement permet au public de découvrir ou redécouvrir cette œuvre dans une toute nouvelle formule.

Avec une pointe d’ironie et de sarcasme, la fondatrice et PDG Cindy Bérard de Technologies Huldu inc., personnifiée par la convaincante Emmanuelle Lussier Martinez, témoigne, à la manière d’une conférencière, des leçons apprises en fonction des épreuves traversées sur le chemin de sa réussite. Faisant ressortir l’hypocrisie du monde des affaires, son récit offre une vision beaucoup moins glorieuse du succès, mais ce n’est pas sans plaisir que le public y trouve une résonance avec la réalité. Autour de la protagoniste gravitent des personnages colorés et attachants que toute la distribution livre avec une sensibilité inspirant l’empathie, malgré un niveau de jeu souvent plus près de la caricature que du réalisme. Mention spéciale à Stéphane Demers qui, grâce aux costumes simples, mais justes, de Mérédith Caron, démontre toute sa polyvalence en offrant trois personnages bien distincts et crédibles. Ayant donné un caractère plus énergique à leur personnage respectif, Isabeau Blanche et Patrick Emmanuel Abellard apportent une belle vivacité sur scène qui contraste avec le caractère plus sévère amené par Lussier Martinez. S’ajoutant plus tard à l’équipe d’entrepreneurs, le personnage assez terre à terre de Joëlle Paré-Beaulieu détonne d’une manière assez drastique pour en être comique. Quant à la performance de Maxime Mailloux et Anne Trudel, elle parait gagner en intensité et en sincérité grâce à l’utilisation des caméras et la proximité qu’elles permettent d’obtenir.

Il faut dire que, lors de scènes particulièrement hautes en émotions, la possibilité de voir le visage des interprètes de plus près ajoute un degré de vulnérabilité qui va droit au cœur. Par son aspect cinématographique, le spectacle est une occasion, pour le public, d’avoir un rapport beaucoup plus intime avec les personnages que durant une représentation purement théâtrale. Si les plans plus rapprochés de leur visage servent l’aplomb des interprètes de belle façon et captivent l’attention, elle rend plus difficile l’appréciation du travail de conception puisque l’auditoire se voit imposer le point de vue de la caméra plutôt que d’avoir accès à une vue d’ensemble comme au théâtre. Le fait qu’il reste possible de reconnaître que le tournage a eu lieu sur scène déconstruit l’illusion de réalisme normalement recherchée au cinéma. Sans se gêner de montrer, à l’écran, les projecteurs servant à éclairer la scène tout en conservant l’idée que les rideaux permettent l’existence d’une coulisse à l’abri des regards, Traversy permet à l’auditoire d’être témoin des rouages de la construction d’une réalité illustrant parfaitement la présence inévitable de « bullshit » au quotidien. Le travail de Cédric Lord aux décors et celui de l’accessoiriste Normand Blais ne font que renforcer cette idée de construction alors que, lorsque le plan est plus éloigné, il est facile de distinguer les limites de l’espace de jeu par rapport à l’ensemble de la scène rappelant inévitablement que l’action est une représentation théâtrale et que de simples éléments sont nécessaires pour faire croire à la réalité présentée.

Dans l’ensemble, offrir la pièce Manuel de la vie sauvage en captation vidéo demeure un choix intéressant bien que celui-ci soit légèrement au détriment de sa théâtralité. Comme l’œuvre met en lumière l’idée de faire l’usage de tactiques pour embellir une réalité souvent plus terne ou celle de volontairement en montrer qu’un aspect, la création d’un format plus cinématographique semble à propos. La caméra donne l’occasion au public de se faire raconter une histoire sans avoir l’obligation d’en saisir les conventions et simplement apprécier le discours bien ficelé de son auteur. Si le travail des concepteurs est moins perceptible au profit de la portée du discours, sa subtile présence permet aux interprètes d’être les porte-paroles de personnages ayant un côté loufoque plus près du jeu théâtral qui faire rire, mais une humanité crédible qui émeut suffisamment pour s’intéresser à ce qui leur arrive du début à la fin.

La vidéo est disponible sur le site de Duceppe jusqu’au 30 mars 2022 au https://duceppe.com/manuel-de-la-vie-sauvage/#/

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