Les Murailles : À la rencontre du père
Les Murailles : À la rencontre du père
Une femme, jeune mère, urbaine, s’envole la tête remplie de questions et de doutes vers le nord de la Côte-Nord, vers La Romaine et ses grands chantiers, à la rencontre d’un père qu’elle a peu vu, un père qui, quand il revenait auprès de sa famille, lui apparaissait comme un étranger.
Pour écrire son roman Les Murailles, l’autrice Érika Soucy s’est ancrée dans sa relation avec son père et dans sa propre visite sur le chantier de La Romaine. Adapté pour la scène au Périscope en 2019, et après une pause de deux ans, Les Murailles prend enfin l’affiche à Montréal. Une visite à La Licorne s’impose pour découvrir ou redécouvrir l’écriture poétique de Soucy et son talent de comédienne. Sa démarche documentaire qui l’a menée dans le nord, à la recherche d’inspiration et de réponses au mystère paternel, lui a permis d’apprivoiser le monde dans lequel son père se réfugiait chaque fois qu’il quittait la maison familiale.
Native de Portneuf sur la Côte-Nord, et se présentant elle-même comme un de ces enfants conçus fly in et élévés fly out, Soucy évoque les nombreuses murailles qui se sont érigées non seulement entre le nord et le sud, la ville et les régions, mais aussi, au fil des années, entre elle et son père peu présent, presque figure de légende, et dont de grands pans de vie demeuraient un mystère pour elle. Sa narration sur scène se relève à la fois explicative, quand elle nous décrit les différents éléments qui composent les bâtiments, machineries et chantiers, et émotive quand elle aborde les blessures vives de ses souvenirs, ainsi que les doutes, les regrets, les ressentiments qui l’ont habitée aussi bien qu’ils habitent les hommes et les femmes de chantier.
Malgré cette démarche documentaire et un fil narratif descriptif, la production de La Messe Basse se démarque de ce que propose d’autres compagnies, comme Porte Parole et son fameux J’aime Hydro, malgré une similarité de sujet. Soucy narre son aventure, en ponctuant son récit d’apartés et de dialogues savoureux avec un grand naturel. Elle nous fait entendre les témoignages, anecdotes et bribes de vie de cette faune disparate qui peuple les chantiers en région, donnant habilement vie à chacun de ses personnages. En quelques mots, ils se matérialisent devant nous grâce, notamment, à une distribution impeccable qui multiplie les incarnations en changeant d’accent, de voix et de manière en quelques instants. L’interprétation souvent truculente de Philippe Cousineau, Gabriel Cloutier Tremblay, Marie-Ève Pelletier et Claude Despins rend chacun des personnages attachant, défauts inclus. Face à la forte carrure de Despins, qui incarne son père avec juste ce qu’il faut de maladresse et de gêne, Soucy paraît redevenir une petite fille, à la fois intimidée, en colère et à la recherche de l’affection de cette stature d’homme d’apparence inébranlable, mais peu paternelle. On plonge dans le quotidien de ces personnages et on en ressort avec une perception à échelle plus humaine des chantiers démesurés plantés dans des paysages tout aussi impressionnants.
C’est peut-être là où le bât blesse avec cette production justement, car malgré les mots évocateurs de l’autrice, la mise en scène de Maxime Carbonneau laisse peu voir l’immensité de ces espaces. Et, adapté à la scène, le texte lui-même nous confine la plupart du temps aux perspectives bouchées de ces hommes et femmes de chantier dont plusieurs y travaillent parce que leurs pères y travaillaient avant eux et où leurs enfants travailleront sans doute à leur tour. Bien que la production nous fasse voir comment plusieurs, dont le père d’Érika, trouvent en ces lieux un endroit où ils sont valorisés, en même temps qu’ils y forment une certaine famille, on ressent avant tout leur isolement, leur ennui, leur « gros ordinaire ». La scène presque vide, où quelques accessoires et une longue table pliante permettent de transporter efficacement l’action d’un lieu à l’autre, peine toutefois à ouvrir sur les paysages nord-côtiers que les lumières découpant l’espace à plusieurs reprises et la bande sonore, parfois trop envahissante, tentent d’esquisser.
Si Les Murailles n’abat complètement les murailles qui se dressent entre le nord et la réalité des gens du sud, entre un père et sa fille, elle crée certainement une brèche par laquelle on peut commencer à s’écouter et peut-être à mieux se comprendre.
Crédit photo Vincent Champoux
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Calendrier
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Du 8 mars au 2 avril 2022
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