Mademoiselle Julie : Quand l’intensité mène la danse, la tragédie séduit
Mademoiselle Julie : Quand l’intensité mène la danse, la tragédie séduit
Après deux ans d’attentes, pandémie oblige, le Rideau Vert accueille enfin Mademoiselle Julie sur sa scène. Si sa version en radiothéâtre diffusée en mars 2020 avait connu un certain succès auprès des auditeurs, cette version scénique adaptée et mise en scène par Serge Denoncourt mérite certainement d’être appréciée en salle. Portée par une Magalie Lépine-Blondeau des plus flamboyantes qui donne la réplique à un David Boutin dans la peau d’un valet impitoyable, la tragédie d’August Strindberg gagne en intensité. Au foudroyant duo se greffe une Kim Despatis qui offre une performance tout en contrôle. Le public assiste à un spectacle où le désir et la raison s’affrontent dans une lutte opposant l’aristocratie au peuple ridiculement sans issue, mais dont l’émoi qu’elle provoque ne peut laisser indifférent.
Accompagnés par la musique de Laurier Rajotte qui sous-entend déjà la tragédie, le rideau se lève sur le décor de Guillaume Lord qui apparait légèrement plus épuré que celui proposé par Strindberg à l’écrit. Malgré le côté plus familier suggéré par la présence d’accessoires de résidence habitée, les murs blancs qui cadrent l’espace scénique rappellent ceux d’un asile faisant écho à la première remarque de Jean sur la folie de sa maîtresse. Contrastant avec le calme de Despatis qui, en bonne cuisinière, s’affaire au fourneau dans le silence, l’empressement de Boutin, dès son entrée en scène, donne le ton à une représentation des plus énergiques. L’arrivée de Lépine-Blondeau ne fait que confirmer le tout alors que l’interprète introduit une femme distinguée, mais qui ne peut clairement pas rester en place. Sous la belle frivolité qui l’anime se cache une tension palpable, entre cette aristocrate à la recherche d’aventure et son valet beaucoup trop ambitieux pour s’en laisser imposer. À peine ces deux personnages sont-ils réunis que leur jeu de séduction malsain, mais fait en toute connaissance de cause, se traduit dans l’interprétation nuancée de deux comédiens qui les incarnent. Cela permet d’être témoins de belles scènes à deux où la théâtralité de l’un rivalise avec l’humanité de l’autre et où la complicité est évidente. Quant à Despatis, sa présence demeure rare, mais elle n’en est pas moins significative. Sous ses traits, Kristin est à la fois raisonnable et sensible, alors que la comédienne lui prête une intelligence qui la rend nécessairement plus mystérieuse, mais qui ne l’empêche pas d’éprouver des émotions vives.
À travers leur proposition, la distribution semble avoir une réelle volonté d’être le reflet de bien plus qu’un simple combat psychologique empreint d’une constante envie de manipuler pour faire ressortir le pire de l’humain. Le jeu livré par le trio laisse supposer que Denoncourt les a dirigés dans le but que la lutte intellectuelle qu’ils prennent plaisir à performer se traduise autant dans les regards que dans le corps. Au même titre que toute personne sous l’emprise de ses émotions, chacun des personnages se montre impuissant face à leurs fortes pulsions qui, parce qu’elles sont généreusement incarnées et pleinement vécues par leur interprète, font le succès de la représentation. Fidèle au genre tragique, certains passages présentent une intensité plus excessive que d’autres, ce qui amène un rire bienvenu. Lépine-Blondeau excelle particulièrement à ce propos. Comme pour laisser l’humain – celui qui est joué et celui qui joue – briller derrière les artifices du théâtre, les costumes conçus par Ginette Noiseux ne font qu’appuyer la classe sociale du personnage qu’ils vêtissent en toute simplicité de la même façon que le font les coiffures et maquillages d’Amélie Bruneau-Longpré. Les éclairages de Julie Basse sont également là pour offrir un subtil support à tout ce travail.
Devant une conception assez réaliste et sans grande extravagance, le jeu des interprètes ne peut qu’en être plus remarquable. De toute évidence, Serge Denoncourt a choisi une distribution qui saurait nuancer son interprétation pour pousser plus loin que la simple démonstration de rapports de pouvoir. Au-delà de leurs convictions et de la recherche commune d’une manière d’échapper à leur destin funeste qui s’inscrit dans le texte, les trois personnages sont empreints d’une sensibilité qui se reflète dans le dévouement des comédiens à s’offrir aussi pleinement au public. Complices de beaux moments de théâtre, Boutin et Lépine-Blondeau se nourrissent de l’énergie de l’autre pour alimenter l’intensité de la dynamique qui perdure entre eux du début à la fin. Malgré sa conclusion inévitablement tragique, cette version de Mademoiselle Julie se présente comme un divertissement où le rire peut s’inviter pour alléger une tension toujours soutenue avec brio.
Crédit photo : François Laplante Delagrave
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Du 15 mars au 16 avril 2022
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