La Grosse Noirceur : Quand les doux en ont assez!
La Grosse Noirceur : Quand les doux en ont assez!
L’ovni théâtral qu’était La colère des doux passe de l’univers numérique à la scène des Écuries dans une version écourtée de quelques chapitres, mais qui parvient à conserver toute son étrangeté et ses savoureuses touches d’humour et d’horreur.
Dans un futur pas si lointain, une crise sociale éclate lorsque le prix des bananes explose. C’en est trop pour les doux, ces personnes qui jusque là ont tout accepté se révoltent. C’est le chaos dans les grandes villes, qui se vident de leurs habitants, déterminés à se regrouper en communautés rurales par affinité de pensée, avec des gens qui partagent leurs intérêts, leurs valeurs, leurs opinions. La fameuse chambre d’échos des réseaux sociaux est ainsi poussée à l’extrême.
Depuis 10 ans, le Théâtre du Futur fait son pain et son beurre d’un avenir absurde et distordu fortement inspiré de notre actualité. Olivier Morin et Guillaume Tremblay s’inspirent cette fois librement de leur création interactive numérique La colère des doux, présentée exclusivement en ligne en 2021 en raison des mesures sanitaires. Dans sa nouvelle mouture, intitulée La Grosse Noirceur, le doux, c’est encore nous, le spectateur qui, confronté à une révolution populaire, fout le camp en région, d’abord auprès de ses amis amateurs de jeux de rôles, puis en quête identitaire dans un Québec transformé en silos. Chaque village étant un nouveau continent à apprivoiser avec ses règles (absurdes) et sa conception du monde.
Le monde va mal, toute va mal, mais c’est pas encore le pire, chantent les interprètes sur scène dans une ritournelle qui se niche très vite dans notre cerveau pour ne plus en repartir tant elle fait écho à ces trois dernières années et sans doute à celles à venir.
Le trio formé par Olivier Morin, Guillaume Tremblay et Navet Confit (à la musique), auquel se greffe la comédienne Myriam Fournier, mène cette aventure dont le public est le héros en incarnant une galerie de personnages colorés, de la communauté de Saint-Ludique-des-Blés-d’Inde où notre personnage de doux ne parvient pas à trouver sa place à l’inquiétante et dangereuse Étape, en route vers Walma, en passant par Graine B, où l’agriculture alternative fait loi, et Charny, bloquée dans la nostalgie des années 1990. On retrouve avec délice l’univers éclaté rempli de jeux de mots, de novlangue et de références à la culture pop auquel le Théâtre du Futur nous a habitués. Allégée de quelques chapitres et fils narratifs par rapport à sa version numérique, La Grosse Noirceur gagne certainement en cohérence, bien qu’elle perde au passage quelques références et critiques savoureuses, notamment sur les dérives de l’agriculture (le segment à Graine B passe très vite) et sur l’avènement d’un wokisme ultra rigide. Nulle mention ici de la glue télépathique, qui guide la quête du personnage central de La colère des doux.
L’Étape est sans aucun doute le chapitre le mieux réussi dans les deux productions et celui qui transitionne le mieux vers la scène. Sans le support visuel des vidéos inquiétantes de l’aventure en ligne, l’atmosphère est malgré tout parfaitement recréée grâce à l’interprétation angoissante de Tremblay en mystérieux gardien de L’Étape, et à l’apport musical essentiel de Navet Confit. Ce bijou de chapitre joue habilement avec les codes du récit d’horreur, non sans surprendre au tournant par quelques éléments fantastiques.
Suivre notre migration dans ce monde futuriste postrévolutionnaire où l’électricité se fait aussi rare que l’ouverture d’esprit et la conciliation est un réel plaisir parsemé de nombreux éclats de rire. Il y manque cependant un peu de glue pour que sa critique sociale porte vite et loin, comme la compagnie y a si bien réussi avec ses précédentes productions, en utilisant le futur pour mieux détailler nos travers contemporains. Il se dégage de l’ensemble un aspect décousu que le fil narratif du doux en quête de sa communauté d’esprit ne parvient pas à lier complètement.
Au bout du compte, La Grosse Noirceur, tout en nous prévenant des dérives des chambres d’échos et de la disparition des débats d’idées et d’opinions au profit de mondes artificiellement créés pour nous conforter et nous oublier, ouvre peu de portes de sortie, et sa finale nous ramène au point de départ. À tout le moins, pendant que la cohésion sociale s’écroule, les deux codirecteurs artistiques du Théâtre du Futur nous auront offert un dernier opus pour s’éclater les joues et se demander : mais où diable ils vont chercher toutes ces idées!
Crédit photo Josée Lecompte
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Calendrier
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Du 12 au 30 avril 2022
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