Carrefour 2022 : Désobéir – Le courage de s’affirmer
Carrefour 2022 : Désobéir – Le courage de s’affirmer
Le Carrefour international de théâtre de Québec débute, après deux années de pandémie, par un spectacle de la compagnie française Les Cambrioleurs, sise à Brest en Bretagne. Désobéir met en scène quatre jeunes femmes flamboyantes, issues de l’immigration, qui viennent parler sans fausse pudeur de leurs droits, de leurs envies, de leur résistance et de leur émancipation. Orchestrée par Julie Berès, qui a conçu et réalisé ce projet, la production qui flirte avec le témoignage, le plaidoyer et l’humour est articulée comme une ode à quatre voix dans laquelle les références historiques et culturelles sont déconstruites au plus grand bonheur du public.
Le plateau est nu, le décor est noir, l’éclairage est cru et le langage direct. La pièce commence alors qu’une des comédiennes, drapée d’une abaya, s’assoit pour partager son récit d’amour déçu avec un auditoire encore sous les feux de la salle. Le propos est senti, linéaire, sans fioritures. La jeune fille relate ses premiers déboires amoureux, mais également les raisons qui l’ont menée à porter le hidjab et à adhérer au Coran. Plus les tableaux avancent et plus l’espace se dévoile, la gestuelle se délivre, le discours se dilate. À la fin de son témoignage, l’interprète, à l’aide de ses comparses, arrache littéralement une partie du revêtement de la scène, créant ainsi une aire de jeu dont la forme et le relief rappellent ceux du sexe féminin. C’est dans ce lieu qui se veut un passage vers la liberté que l’actrice se déleste de sa robe islamiste.
Le second récit à être entendu est celui d’une jeune iranienne qui se retrouve internée en hôpital psychiatrique pour cause d’indiscipline chronique. Son témoignage, bien que fluide et continu, s’accompagne d’une chorégraphie saccadée de style popping, marquée par des mouvements apparemment chaotiques, mais en réalité extrêmement contrôlés, dont la signification en lien avec le propos est subtilement éclairante et extraordinairement fascinante. Ces entrées en matière qui mettent en parallèle ordre et désordre, asservissement et affranchissement, se terminent dans la partie du plateau qui a été préalablement dénudée et qui devient un lieu de défoulement de la voix et du corps, par la parole, le chant et la danse.
Un des moments les plus savoureux de la catharsis est celui par lequel les quatre comédiennes livrent, avec la participation d’un spectateur consentant, une lecture personnalisée d’un extrait de L’École des femmes de Molière. L’expression de leur révolte, qu’elles déclament les répliques originales de l’auteur ou qu’elles les réinterprètent en leurs mots, est à la fois délicieuse, féroce et hilarante. Les effets choraux de cet épisode et de quelques autres instants du spectacle sont rodés avec brio. Le texte est transmis avec naturel et les idées qu’il véhicule sont non équivoques.
Au travers des débats sur la féminité, le sexe, la soumission et la religion, l’aspect politique du propos transparaît. Un exemple probant de cette présence est le passage de la pièce où une des comédiennes, à travers son monologue, récite un extrait du discours prononcé par Nicolas Sarkozy à Dakar, en 2007, dans lequel il mentionne, entre autres, que le « drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est jamais entré dans l’Histoire ». Le fait que cette allocution ait étrangement été traduite pour être présentée en anglais au Québec tend à accentuer la polémique et l’hostilité entourant la réception de ce discours qu’on a qualifié de condescendant et qui a été proclamé au Sénégal, en français, par le président d’un pays colonisateur, alors que la langue parlée par la majorité de la population est le wolof.
Désobéir est une œuvre dramatique captivante et libératrice. Elle met en scène une révolte que les actrices de la pièce (Sonia Bel Hadj Brahim, Lou-Adriana Bouziouane, Déborah Dozoul et Julie Grelet) s’approprient avec vérité et lucidité. Dans cette pièce, programmée à l’origine pour l’édition 2020 du Carrefour, le plaisir et le bonheur de jouer des comédiennes sont communicatifs.
Le spectacle est présenté du 26 au 28 mai, au Théâtre de la Bordée
Crédit photo : Catherine Tétreault