Carrefour 2022 : L’heure bleue – Frayeurs à la brunante

Carrefour 2022 : L’heure bleue – Frayeurs à la brunante

D’abord présentée aux Chantiers / constructions artistiques il y a de cela six ans, L’heure bleue est une adaptation québécoise contemporaine de Hamlet de Shakespeare, produite par La Brute qui pleure et La Vierge folle. Les coauteurs de l’œuvre, David Bouchard et Maxime Robin, convient le public à une expérience théâtrale en plein air, à la lisière d’un bois, au crépuscule. Ce contexte original amplifie l’ambiance d’horreur et de fantastique recherchés par les créateurs ; la pénombre de la brunante, l’ombre des branches d’arbres, le bruit du vent dans les feuilles et le chant strident des grillons contribuent à l’atmosphère de peur imaginée pour la pièce. L’ensemble du spectacle se déroule autour d’un « pit à feu » qui sert non seulement de point central pour l’espace scénique, mais est aussi exploité comme surface de projection. D’ailleurs, le crépitement des flammes, la fumée épaisse et la lumière chaude propres aux feux de camp aident à dépeindre un environnement chimérique, sous le thème de la chasse. Dans L’heure bleue, Hamlet, surnommé Junior (David Bouchard), est un jeune homme bouleversé par le décès de son père survenu 11 mois plus tôt dans un accident de chasse.

Si les premières répliques de la pièce manquaient quelque peu de rythme lors de la première, une cadence plus accélérée s’est imposée au cours des scènes suivantes, rappelant même un captivant thriller, au fur et à mesure que les dynamiques entre les personnages se sont fixées. Le début du spectacle aurait également gagné à ce que la quantité de sacres et jurons soit mieux dosée, puisque leur exagération alourdit inutilement le texte. L’heure bleue (qui portait comme titre complet, à l’époque, L’heure bleue (Hamlet trailer park)), contient beaucoup de vulgarité, d’humour sexuel et scatologique, notamment des blagues dégradantes et des propos objectifiants tenus par des personnages masculins envers des personnages féminins. Certes, cette vulgarité s’avère bien incarnée par les comédien.nes, mais le tout verse dans une absurde caricature. On en vient alors à se demander si le choix de l’univers « trailer park » n’est qu’un prétexte au trash. La pièce illustre un environnement social éprouvant pour tous les protagonistes ; pourtant, il est difficile de ressentir d’emblée de l’empathie envers ces derniers tant ils sont stéréotypés.

Le synopsis de la pièce indique que celle-ci « évacue la trame politique de l’œuvre originale pour se concentrer sur la dimension humaine de l’intrigue ». Toutefois, les interventions de la professeure de Junior (Anne-Marie Côté) soulèvent très précisément des enjeux politiques, bien qu’ils ne soient pas les mêmes que dans Hamlet. Elle ouvre, d’ailleurs, le spectacle en invitant le public (sa classe) à réfléchir aux facteurs qui engendrent des fusillades, dont les législations liées aux armes à feu. L’équipe de création a décidé d’orienter son adaptation d’Hamlet de sorte à témoigner d’une considération envers les tueries de masse et de situer son histoire dans un milieu défavorisé ; pourquoi ne pas s’en servir pour réellement adresser le lien entre les inégalités économiques et la violence? Pourquoi alors le situer dans un trailer park? Ces enjeux sociaux délicats de pauvreté et de violence sont, au final, à peine effleurés, comme celui de la santé mentale, évoquée brièvement du fait que Junior prenne des pilules. C’est plutôt étonnant, compte tenu de l’angle relativement engagé pris avec le personnage de la professeure.

Dans tous les cas, le duo comique de Vincent Paquette et Samuel Bouchard sert d’efficace désamorçage, leur sens du jeu humoristique et leur complicité viennent alléger la trame d’horreur du spectacle. Les comédien.nes Évelyne Rompré et Éric Leblanc incarnent avec brio la mère et l’oncle, deux êtres irrévérencieux, odieux et débauchés, qui mènent la vie dure à Junior. Leur excellent jeu permet de rendre leurs personnages et leurs monologues plus vibrants. De plus, la scène entre Ophélie (Cynthia Archambault) et Junior (David Bouchard) qui discutent de l’heure bleue et des loups-garous s’est révélée être très touchante. La fabuleuse trame musicale de Millimetrik, l’éclairage glauque savamment réalisé par Keven Dubois, ainsi que le remarquable travail scénographique (Ariane Sauvé à la scénographie, Marianne Lebel aux costumes, Élène Pearson à la conception et création des accessoires animaliers – mention spéciale à l’ours!), rehaussent l’atypique adaptation shakespearienne.

Bien que le caractère trash de la pièce et la grossièreté des personnages détonnent avec la gravité des lourdes questions sociales mentionnées plus haut, L’heure bleue constitue une œuvre d’envergure, qui réussit à plonger le public dans un univers fantastique et angoissant.

La pièce est présentée du 6 au 11 juin, au Centre de plein air de Beauport.

Crédit photo Stéphane Bourgeois

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