Là-bas : La valise comme métaphore du voyage intérieur
Là-bas : La valise comme métaphore du voyage intérieur
collaboration spéciale d’Alain-Martin Richard
La sagesse populaire dit que dans le voyage ce n’est pas la destination qui importe, mais la route pour s’y rendre. Les trois comparses de Là-bas, lorsqu’ils arrivent sur scène soudés ensemble et ne formant qu’une seule bibitte, l’apprendront à leur corps défendant. L’empilement des valises sur le plateau indique d’emblée à quel genre d’aventure le public peut s’attendre. Mais dans une sorte d’inversion malicieuse, on comprend aussitôt que ce sont les malles et mallettes qui décideront de leur périple, pas eux.
Commence alors une danse de Saint-Guy entre les trois clowns et l’univers intrigant des valises. Ce sont elles qui imposent le scénario, les invitant à se rendre « d’ici à là-bas ». Ils deviennent alors des jouets emportés dans une folle sarabande faite de contorsions, de culbutes, de roulades, de membres entremêlés. Les corps expressifs nous racontent leur périple inouï sans jamais prononcer un mot. Il s’agit d’un jeu où les petites boites prennent le contrôle du destin des humains. Empatouillés dans ces forces mystérieuses, les trois amis se débattent, s’entraident, se taquinent, interagissent avec un monde qu’ils découvrent par la force des choses. Ce ne sont pas des victimes subjuguées, mais plutôt des explorateurs volontaires, bien décidés à percer le mystère de l’inconnu. Ils y rencontrent de l’adversité, mais aussi des moments de grâce. On y voit un train, un chien méchant et grognon, un chat-caresse, une géante, un guide de route complètement barge, un viatique en forme de pain blanc, une ligne d’odeurs…
Là-bas interpelle avec brio le jeune public. Véronika Makdissi-Warren propose ici un petit bijou serti d’une jouissive panoplie de trouvailles. Le combat entre humains et objets animés d’une vie propre devient le canevas de la découverte de soi. Il y a de la magie et du mystère, mais en toute simplicité. Et les trois larrons, interprétés par Miguel Fontaine, Amélie Gadbois et Jocelyn Paré, maîtrisent parfaitement les ficelles de la complicité avec le jeune public… qui en redemande. Valises, comédiens·ne et public forment un continuum qu’on croirait orchestré. Alors que la musique de Stéphane Caron ponctue la narration muette de notes qui parlent, l’éclairage de Christian Fontaine invente des subtilités entre l’ensemble et les détails. On sent une sorte d’osmose de l’équipe pour porter cette aventure au bout de sa logique.
L’Aubergine, qui devait présenter ce spectacle en 2020, a profité de la pandémie pour le peaufiner. Ce qui, à n’en pas douter, lui confère une aura puissante. C’est un petit miracle, fait de virtuosité, perceptible dans tous les aspects : scénographie et éclairage (Christian Fontaine), costumes (Julie Morel), mise en scène, jeu des clowns, musique (Stéphane Caron), tout converge vers ce moment de pure joie, parce que pure poésie. À voir pour illuminer la grisaille ambiante de grandes émotions et beaucoup de rires libérateurs.
Là-bas, au Théâtre jeunesse Les Gros Becs, du 23 février au 12 mars 2023
Crédit photo Mario Villeneuve