Le rêveur dans son bain : du théâtre à faire rêver

Le rêveur dans son bain : du théâtre à faire rêver

Nouvelle production du Théâtre Tout à Trac en collaboration avec le Théâtre du Nouveau Monde, Le rêveur dans son bain, une pièce mise en scène par son auteur Hugo Bélanger, transporte son public dans le pays de l’imaginaire grâce à un texte aussi poétique que magique. Enchaînant des tableaux tous aussi ludiques les uns que les autres, la distribution de huit comédiens chevronnés incite chaque spectateur à découvrir ou redécouvrir les plaisirs de l’enfance grâce à une histoire des plus improbables. L’espace d’un instant, petits et grands enfants sont judicieusement invités à rêver les yeux ouverts en compagnie du rêveur, dans son bain depuis vingt ans, à la recherche d’une idée pour finir son récit. 

Le décor imaginé par Jonas Veroff Bouchard dans lequel la pièce prend place rappelle magnifiquement bien les cabinets de curiosités. Bon nombre d’antiquités sont entassées pour délimiter le principal espace de jeu où se trouve un bain qui attire rapidement le regard. Le talentueux Normand D’Amour ne tarde pas à gagner le cœur des spectateurs en incarnant le vieux rêveur déchu et grognon qui se plaît vraiment à raconter des histoires. Servant de fond à la scène, une toile représentant une juxtaposition de feuilles blanches donne rapidement au public l’occasion de constater le fabuleux travail de Thomas Payette (Mirari Studio) à la conception vidéo. En complémentarité avec les accessoires conçus par Alain Jenkins et la conception sonore de Ludovic Bonnier, ce visuel crée un mouvement intéressant et permet la présentation d’un bel univers unique en son genre. À cela s’ajoutent les costumes de Marie Chantal Vaillancourt et les maquillages de Maryse Gosselin pour donner à voir plusieurs personnages colorés à l’apparence singulière. Tout ce travail de conception permet à la distribution de se laisser aller à une magnifique folie remplie de tendresse. Le public est agréablement amené à s’abandonner dans le plaisir et à accepter de se laisser prendre au jeu pour profiter à fond de l’expérience théâtrale qui lui est offerte. 

Il faut dire qu’un des points forts du spectacle consiste à émerveiller le public par l’illusion. L’agilité avec laquelle les comédiens s’exécutent pour rendre justice à l’imaginaire de Bélanger et sa mise en scène dynamique est à féliciter. Devant la précision technique que demandent certains tableaux, les comédiens provoquent plusieurs fois l’émoi du public, même si ce dernier est souvent témoin du tour et de son trucage en simultané. En choisissant de ne pas leurrer son auditoire, Bélanger parvient habilement à lui faire rendre compte de la beauté de l’illusion et le remarquable travail qui se cache derrière. Soulignons la performance de Carl Poliquin qui, prêtant son corps et sa voix au magicien oublié Jean-Eugène Robert-Houdin, impressionne par sa maîtrise de quelques tours de magie. Le comédien se révèle assez polyvalent tout au long de la pièce, alors qu’il enchaîne plusieurs petits personnages sympathiques et amusants. Carl Béchard, Éloi Cousineau et Marie-Ève Trudel offrent une performance tout aussi épatante grâce à leur capacité à se transformer habilement en divers personnages. Béchard personnifie le bédéiste Winson McCay avec candeur. Cousineau se démarque plus particulièrement avec le mime et fait rire avec son interprétation d’un Georges Méliès légèrement colérique. Quant à Trudel, elle se présente fièrement dans la peau de l’artiste Hannah Höch et offre une incarnation flamboyante de l’artiste dadaïste Elsa Von Freytag. Malgré son allure plus distinguée et sa nature plus posée, le personnage d’Ondine, femme et muse du rêveur, cache en elle une force et une vive passion que l’élégante Cynthia Wu-Maheux rendra avec aplomb et fougue. Tous ses personnages, aux costumes colorés à la hauteur de leur personnalité, sont plus éclatés les uns que les autres.

Les éclairages de Luc Prairie réussissent à faire voyager à travers le temps de magnifique manière. Dans cette aventure rocambolesque aux multiples univers se retrouve Octave, héros imaginé par le rêveur comme son alter ego. Joué par Sébastien René avec sensibilité et vulnérabilité, cet attachant personnage rappelle l’insouciante jeunesse. Ce jeune garçon si émerveillé par ce qui lui arrive donne encore plus envie de plonger dans le rêve et de profiter de l’instant présent. À l’opposé, Renaud Lacelle-Bourdon, abordant un costume beaucoup plus conventionnel et terne, se présente sur scène avec l’attitude d’un fils terre-à-terre totalement désillusionné par la vie. Son ton machinal, auquel s’ajoute une certaine lourdeur, lui donne une intensité dramatique qui sert bien son personnage. Sa complicité avec D’Amour permet de mettre en scène un duo père-fils très touchant à mesure que leur relation évolue au cours du récit. Particulièrement chargée en émotion, la dernière scène qu’ils partagent ensemble clôt le spectacle de belle façon. Réunissant toute la distribution sur scène, Bélanger prouve une dernière fois à quel point la fiction peut embellir la réalité avant que le rêveur ne tire sa révérence pour laisser son histoire vivre à sa place.

L’aventure que propose Hugo Bélanger avec Le rêveur dans son bain a de quoi réveiller l’envie de rêver. Ancrée dans un univers brillamment conçu où l’imaginaire règne et où le rêve se transforme en réalité, cette nouvelle création du Théâtre Tout à Trac s’inscrit comme une expérience unique en soi. La distribution de talent donne à voir un théâtre ludique et techniquement impressionnant qui fait rire et qui émeut. Avec un récit aussi poétique si joliment raconté, ce spectacle du Théâtre Tout à Trac est une magnifique invitation à aller au théâtre avec son cœur d’enfant. 

Le rêveur dans son bain, à l’affiche du TNM du 2 au 27 mai 2023

Crédit photo Yves Renaud

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