Critique – Body and Soul : une oeuvre magistrale
par Eve Mequignon
En partenariat avec Digidanse, la compagnie Danse Danse présente le renversant spectacle Body and Soul, chorégraphié par la talentueuse Crystal Pite et interprété par le Ballet de l’Opéra national de Paris. Une captation vidéo de la pièce est offerte en primeur au public canadien du 17 au 23 février 2021, sous forme de webdiffusion. Le film de 85 minutes, réalisé par Tommy Pascal, comprend également, en introduction, un entretien avec Crystal Pite et son équipe de création, Kidd Pivot. La passion des artistes et leur fierté vis-à-vis l’élaboration du projet Body and Soul transcendent l’écran ; leurs témoignages accentuent notre curiosité et notre intérêt. Le segment « tête-à-tête » avec les concepteur.trices permet au public de prendre le pouls du travail effectué en amont et d’appréhender l’œuvre avec une véritable compréhension des objectifs artistiques de celle-ci.
Ce spectacle d’envergure, conçu pour un ensemble de 36 danseur.euses, est empreint de sensibilité et de finesse. Il met en scène la force des liens qui unissent l’humanité, les relations interpersonnelles ainsi que le rapport à soi, que ce soit dans le conflit ou dans la douceur. Les différents tableaux, regroupés en trois parties, évoquent ces puissantes tensions émotives qui régissent notre vie collective, dont les manifestations ou les guerres, ou celles de notre vie intime, comme l’amour et le deuil.
La première partie débute avec la voix hors champ de Marina Hands, qui décrit, à la manière d’indications scéniques, les mouvements de deux personnages en conflit : « Figure 1 tend le bras vers figure 2 ». D’abord prononcé sur un ton plutôt monocorde, le court texte est ensuite repris de multiples autres façons tout au long du chapitre, de sorte à lui donner des implications et des significations variées que suivent les interprètes. Ainsi, les paroles de Hands, avec un léger changement d’inclinaison de voix, évoquent tantôt une rencontre violente, tantôt une tendresse émouvante ou une détresse bouleversante. Cet habile rapport entre langage physique et langage oral, ce jeu inusité entre les gestes et les mots, témoigne du sens dramaturgique aiguisé de Crystal Pite.
Si la deuxième partie, campée dans un éclairage chaleureux et accompagnée d’airs de Chopin, révèle des duos d’une élégance désarmante, la troisième partie révèle, quant à elle, un univers étrange, qui oscille entre le monde du rêve et celui de la science-fiction. Son décor, doré et brillant, semble dépeindre un ciel étoilé ou une nature enchantée. Les danseur.euses portent des costumes luisants qui leur donnent une allure d’insectes extraterrestres. Mais cette ambiance mystérieuse et onirique prend une tangente tout à fait surprenante lorsque s’entame la chanson finale Body and Soul ; les bêtes imaginaires adoptent soudainement une démarche de défilé de mode et un personnage poilu vient conquérir la scène en effectuant des mouvements empruntés à la culture populaire.Si l’atmosphère planante et chimérique du début captive et fascine, celle festive et saugrenue de la fin étonne et amuse.
Body and Soul émerveille tant par la virtuosité de ses interprètes et la splendeur de ses chorégraphies que par sa théâtralité unique. On ne peut qu’être pris.e d’admiration pour cette production ambitieuse et originale, où s’harmonisent savamment décor, musique, costumes, lumière et danse.
Pour avoir accès à la webdiffusion
Extrait de la création en répétition