Festival du Nouveau Cinéma : Wilde Salome
par Daphné Bathalon
Dimanche 18 octobre, jour de clôture, le Festival du Nouveau Cinéma proposait un intrigant programme double autour de la pièce Salomé, écrite il y a plus d’un siècle en français par Oscar Wilde. En première partie, le docudrame Wilde Salomé (2011), dans lequel Al Pacino expose le travail autour de ce projet de monter Salomé sur scène. Un exercice de mise en abîme réalisé plus de quinze ans après le brillant docudrame Looking for Richard. En deuxième partie, la pièce de résistance : Salomé, film tiré de la production scénique, montée en 2006 à Los Angeles. Entre les deux, un message d’Al Pacino, à son public de Montréal, une longue déclaration d’amour pour la ville et le FNC. Programme triple donc, qui a attiré un modeste public d’initiés au Cinéma du Parc.
« This is a film about an obsession. » Ainsi commence Wilde Salomé, docudrame façonné par la personnalité d’Al Pacino. On y retrouve beaucoup d’humour et d’autodérision, mais aussi ses côtés tyrannique et brouillon du réalisateur, qui donnent, dès les premières minutes, le ton au documentaire. La caméra suit Pacino à Dublin, à Londres et à Paris, où Wilde est mort d’une méningite découlant de son séjour en prison, et accompagne l’acteur dans ses rencontres avec différents connaisseurs et spécialistes. Des passages moins intéressants qui cèdent heureusement de plus en plus la place aux incursions en salle de répétition et derrière les caméras. On y voit les questionnements de l’équipe de production et de création et un court aperçu de la réception critique et publique de Salomé après la première lecture. Un joli tour d’horizon de cette expérience à la fois théâtrale et cinématographique.
Wilde Salomé expose la difficulté de monter simultanément une pièce tout en filmant cette adaptation et un documentaire sur tout le processus. Trois exercices menés en parallèle, pour économiser de l’argent, explique en riant Al Pacino, qui ne sont pas sans faire naître quelques frictions. Dans Wilde Salomé, le réalisateur explique ce qui l’a amené à s’intéresser à cette pièce et détaille son voyage sur les traces de l’excentrique auteur irlandais. On l’y voit aussi en répétition avec les autres membres de la distribution.
Pacino lui-même l’avoue dans son adresse au public montréalais : on gagne à voir le docudrame avant de voir la production. Si le documentaire dévoile de grandes portions du film qui suit, il n’en reste pas moins qu’il a le mérite d’expliquer le cheminement de l’acteur et réalisateur et d’éclairer certains de ses choix. Salomé ne se suffit pas à elle-même. À la fois pièce de théâtre, simple lecture et film, la production finale offre en effet une version réduite à l’essentiel de l’oeuvre imaginée par le sulfureux Wilde. Lors de la création en 2006, les acteurs, assis derrière des lutrins, lisaient leur texte, un choix que les critiques ont d’ailleurs vertement reproché à la production. Dans le film, les acteurs, débarrassés de leur texte, n’en demeurent pas moins statiques, assis sur des tabourets ou dans de larges fauteuils. Ici, cependant, les prises de vue rapprochées et la nervosité de la caméra servent la pièce de belle manière, lui assurant une texture riche.
Dans les faits, le documentaire, bien que moins abouti et maîtrisé que l’était Looking for Richard, se révèle plus intéressant que l’adaptation cinématographique qui le suit. Le film, terminé en 2014, propose une relecture très personnelle de la pièce controversée et longtemps interdite de Wilde, se concentrant sur la figure de la virginale Salomé et sur sa relation avec le roi Hérode. Le docudrame et le film montrent bien aussi l’obsession que Salomé exerce sur Pacino, à l’instar de celle ressentie par le roi.
Salomé est une décharge brutale sur la transgression, le désir et la sexualité, mais c’est aussi, et il faut le dire, le portrait moraliste d’une femme que tous les hommes désirent au premier regard et dont l’innocence est érigée en vertu… Du moins jusqu’à ce qu’elle perde la tête, repoussée par le seul homme pour lequel elle brûle d’un ardent désir au seul son de sa voix. Elle ne souhaite plus alors qu’une chose : le voir décapité pour pouvoir enfin baiser ses lèvres rouges, désir qui signera sa perte. Dans le rôle-titre, Jessica Chastain brille tantôt de sensualité tantôt d’une fureur implacable. Beauté rousse, l’actrice incarne une Salomé magnétique dont la folie perce peu à peu le regard. Face à elle, Al Pacino en Hérode, les doigts sertis de bagues et la voix ridiculement haut perchée, passe du bouffon guidé par ses pulsions au souverain implacable. Leurs échanges sont puissants, troublants. La folie est aussi du côté du prophète, incarné par un lumineux Kevin Anderson, dont la voix résonne depuis le fond du puits glauque où il est tenu captif. La production est toutefois lourdement appuyée par une musique constante qui noie par moments leurs performances.
En programme double le docudrame et le film nous donnent un aperçu du processus de création d’une pièce et au travail d’acteur, tout en proposant une belle initiation à cette histoire biblique réimaginée par Oscar Wilde, mais nous laissent au final sur notre faim. À voir pour la sublime performance de Chastain.