Antigone sous le soleil de midi : Il était une fois une famille maudite
Antigone sous le soleil de midi : Il était une fois une famille maudite
La figure héroïque et tragique d’Antigone continue de marquer les esprits, près de 2000 ans après que Sophocle a écrit son histoire. Les jumeaux Polynice et Étéocle se sont entretués sur le champ de bataille pour avoir la mainmise sur le trône de Thèbes. Créon, le nouveau roi, décrète que l’un est un héros et aura droit aux honneurs, tandis que l’autre est un ennemi de Thèbes et interdit à quiconque de l’enterrer. Leur sœur Antigone refuse d’obéir…
Le mythe d’Antigone est immortel; c’est celui de la jeunesse éternellement révoltée par des lois iniques, par l’injustice, par l’autorité aveugle, c’est celui de la jeunesse qui brandit sa dignité, sa fierté, son intransigeance comme autant de boucliers pour affronter le monde, parfois jusqu’à en mourir. Mais qu’a-t-elle encore à nous dire, cette Antigone, qu’a-t-elle à nous raconter aujourd’hui? C’est à cette question que tentent de répondre Le Carrousel et le Théâtre Gilles-Vigneault avec Antigone sous le soleil de midi… tout en soulevant une foule de nouvelles questions, toutes bien pertinentes et qui font appel au sens critique du jeune public.
Comment choisir qui doit édicter les règles et les faire respecter? Est-il nécessaire de tenir ses promesses en toutes circonstances? D’obéir aux lois même si on les trouve injustes? La loi du cœur a-t-elle préséance sur celle du pouvoir? Que veut dire gagner… ou perdre? D’ailleurs, qui a gagné, Antigone ou Créon?
Autour d’un grand disque incliné couvert de sable qui servira de scène, trois acteurs et un musicien se préparent à nous raconter l’histoire d’Antigone, mais pas seulement la sienne. En effet, le texte de Suzanne Lebeau remonte le cours des événements, longtemps, bien longtemps avant la fin tragique de la princesse de Thèbes. Car pour bien comprendre les positions respectives de Créon et d’Antigone, il y a la naissance d’un enfant, Œdipe, destiné à tuer son père et à épouser sa mère, la présence d’un sphinx sans pitié, la funeste rivalité entre deux frères jumeaux, la peste comme punition divine et, bien sûr, la soif de pouvoir qui aveugle les hommes. Il en ressort un texte très dense, sans être indigeste, qui foisonne de noms, d’événements, de prophéties et de mots et notions parfois complexes, mais que Marie-Eve Huot met adroitement en scène.
Le coryphée, incarné très sobrement par Sasha Samar, place dès le début les forces en présence : d’un côté le fier Créon (Ludger Côté, tout en nuances), de l’autre l’insoumise Antigone (Citlali Germé, dont les talents de danseuse donnent corps à la jeune fille). Samar, qui se glisse aussi dans la peau de l’amoureux d’Antigone, Hémon, et de quelques autres personnages, offre ici une solide performance : son interprétation captive aussi bien les adultes que les enfants, dont certains visiblement en deçà du groupe d’âge suggéré pour la production (à partir de 10 ans).
Malgré la clarté du récit, Antigone sous le soleil de midi relègue quelque peu Antigone au second plan. De fait, en moins d’une heure, la narration file à vive allure en remontant le temps dans un sens puis dans l’autre pour bien nous expliquer ce qui a mené à ce moment charnière de l’histoire d’Antigone, à cette situation où il semble impossible de faire le bon choix. L’étourdissement guette le public, au milieu de cette succession de tragédies et de morts violentes – car la production n’adoucit nullement le caractère impitoyable du destin de ses personnages, provoquant des yeux ronds parmi les jeunes spectateurs. Mais Suzanne Lebeau a ce talent d’aborder les sujets les plus durs (deuil, guerre, féminicide…) avec la plus grande pudeur, en toute simplicité.
Sous un éclairage éclatant qui évoque bien le soleil implacable sous lequel pourrit le corps d’Étéocle, la production propose une esthétique épurée qui fait la part belle aux éléments naturels : le sable, la terre (sous la forme de figurines de céramique) et les tissus. De très jolies images jalonnent la production, notamment ce passage en théâtre d’ombres et cette scène durant laquelle Antigone et Hémon se recueillent auprès d’un corps symbolisé par du sable qui s’échappe d’une toile saucissonnée.
C’est d’ailleurs ce qu’on retient le plus d’Antigone sous le soleil de midi : une narration forte couplée à une esthétique brillante qui en font un spectacle prenant, si on se fit au silence attentif qui règne dans la salle tout au long de la représentation. Si les questions adressées au public demeurent sans réponse, elles lancent admirablement bien les discussions.
Crédit photo Marc-Antoine Zouéki
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Calendrier
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Du 19 au 27 novembre 2021
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