Quatre filles : Défier le monde pour être soi-même

Quatre filles : Défier le monde pour être soi-même

Après avoir inspiré des générations de jeunes filles et garçons, avoir été adapté maintes fois pour le petit et le grand écran, dont l’inoubliable version de 1994 mettant notamment en vedette Winona Ryder et Susan Sarandon, le classique de la littérature américaine Little Women, de Louisa May Alcott, renaît ces jours-ci dans une adaptation signée Julie-Anne Ranger-Beauregard. Mais qu’a donc encore aujourd’hui à dire au public du Théâtre Denise-Pelletier cette histoire écrite dans les années 1860 dans le Massachusetts? Le discours féministe de l’autrice américaine et ses réflexions sur le passage ardu de l’adolescence à l’âge adulte et la difficulté de rester ou devenir soi-même n’ont certainement pas pris une ride.

Le film de 1994, qui a marqué la jeunesse du metteur en scène de Quatre filles, Louis-Karl Tremblay, étend sans doute un peu de son influence sur cette production du Théâtre Denise-Pelletier, sur laquelle l’équipe travaille depuis plus de quatre ans (le projet ayant été retardé par les mesures sanitaires). Il est en effet impossible de ne pas voir certaines scènes du film et nos souvenirs de lecture du roman se superposer à quelques moments de la pièce, mais le texte de Ranger-Beauregard, au registre plus québécois que la traduction classique du roman, et la solide distribution nous font rapidement apprécier les qualités de cette adaptation théâtrale de l’oeuvre culte de May Alcott. Le spectacle nous replonge dans l’univers familier et chaleureux du roman, l’équipe recréant sur scène la trame narrative prenante du livre et ses petites scènes de la vie des March, malgré une certaine précipitation dans l’enchaînement des scènes, qui nous laisse peu le loisir de savourer l’ambiance et les relations entre les soeurs. En tant que spectateur, on a presque l’impression de redevenir lecteur et de tourner les pages du livre à toute vitesse, pressé de connaître le sort des fameuses filles du docteur March.

La scénographie de Karine Galarneau évoque simplement la maison familiale et l’hiver au coeur duquel se niche une grande partie de l’histoire. Les grands panneaux coulissants ne sont par ailleurs pas sans rappeler les rideaux du théâtre auquel les adolescentes s’amusent ou les pans d’une maison de papier qui s’ouvre de plus en plus au fur et à mesure que les filles quittent le nid. La scénographie épurée permet plusieurs transitions fluides d’un lieu à l’autre, que viennent compléter quelques éléments de mobilier qui glissent sur rails ou que l’on tire depuis les coulisses, comme si l’autrice elle-même tirait les ficelles de ses personnages.

Ce sont toutefois les filles March et leurs actrices qui mènent le bal de cette production. La raisonnable Meg (Clara Prévost), la rebelle Jo (Rose-Anne Déry), la douce Beth (Sarah Anne Parent, aussi pianiste et dont une très jolie scène au piano marque un des beaux moments du spectacle) et l’impulsive Amy (Laetitia Isambert) forment un quatuor tissé serré crédible, au sein duquel chaque fille a l’occasion de briller. Alors que le roman nous donne surtout le point de vue de Jo, alter ego de l’autrice, l’adaptation nous offre plusieurs occasions d’entendre les craintes, les rêves et les aspirations de chacune, à l’aube de leur entrée dans l’âge adulte. Si les apartés plus narratifs coupent maladroitement le rythme du spectacle, autrement très rapide, elles ont le mérite de nous faire mieux comprendre leurs motivations, au-delà des étiquettes. L’absence de Marmee, la mère March, laisse toutefois un grand vide dans cette histoire familiale, comme si les quatre soeurs n’avaient plus cette ancre rassurante au centre de leur existence. Elles paraissent bien seules au coeur de l’hiver. Bizarrement, c’est tante March, femme austère et attachée aux convenances, contrepoint de Jo, qu’on a décidé d’inclure pour guider ses nièces, à son étrange manière. Dans ce rôle, Dominique Quesnel joue à fond la carte de la comédie : elle est hilarante, mais elle en perd en nuances. Le riche et charmant voisin, Theodore, trouve lui aussi sa place au sein de la sororité, quoique son interprète Mattis Savard-Verhoeven paraît pâlot face à l’éclat des filles.

Quatre filles résonnera assurément auprès du jeune public du Théâtre Denise-Pelletier (en plus de plaire aux nostalgiques). La voix de Jo porte toujours en elle, à travers les siècles, la fougue et la révolte d’une jeune fille que la société cherche à tout prix à tempérer : « J’aspire à être moi-même chaque seconde de mon existence. » Continue de vivre avec toute la force de tes convictions, Jo !

Crédit photo Gunther Gamper


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Calendrier

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Du 16 mars au 9 avril 2022

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