L’Écrit : comme une ode initiatique
L’Écrit : comme une ode initiatique
En montant à bord de l’autobus jaune de l’Ubus Théâtre pour assister à une représentation de L’Écrit, le temps s’arrête. Dans ce cocon feutré et intime, le public est convié corps et âme à écouter une fable marionnettique d’une infinie tendresse. Les interprètes de la production, Agnès Zacharie et Pierre Robitaille, y accueillent leurs hôtes en toute quiétude, créant des vibrations propices à un état idéal de réceptivité. L’ensemble de l’espace scénographique — décor, musique et lumière —, concocté par Vano Hotton, Pierre Robitaille, Pascal Robitaille et Henri Louis Chalem, prête au recueillement et à la concentration. Avec L’Écrit, l’expérience théâtrale est totale, le spectateur étant d’emblée aspiré dans cet univers fusionnel.
Présentée pour la première fois en 2006, cette œuvre élaborée par Agnès Zacharie et mise en scène par Martin Genest raconte l’histoire de Célestine, une petite fille née au Québec qui passe l’été au Japon, chez sa grand-tante Chizuko, une dame âgée et aveugle qu’elle connaît à peine, pendant que son père et sa mère, musiciens de carrière, sont en tournée dans le pays. Au duo Célestine et Chizuko, se greffent les personnages du chat de la maison, Fuji‑San, du Dragon blanc issu des rêves de la fillette ainsi que de l’ami fidèle et amoureux secret de la grand-tante, Kamashi. Célestine se rebelle, elle se sent abandonnée par ses parents et refuse d’entrer dans la demeure de Chizuko. Mais l’aînée est patiente ; elle réussit à apprivoiser la « petite souris » avec sa tranquillité, sa sagesse et sa bienveillance. Ayant connu les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale, Dame Chizuko a été meurtrie dans ses chairs. Toutefois, son esprit est vif et exhale la plénitude. Une des scènes magnifiques de la pièce est le moment où cette « hibakusha », terme qui désigne une victime des bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki en 1945, va tremper ses vieux os dans les eaux de la rivière pour, comme à tous les jours, se purifier des radiations et des affres de la violence.
Les marionnettes conçues par Pierre Robitaille, assisté d’Annabelle Roy, sont tout simplement superbes. Les personnages empruntent différentes tailles selon la nécessité du récit. Même en format miniature, les détails des membres, des visages et des costumes sont perceptibles par le public. La manipulation du corps fragile et usé de Dame Chizuko qui flotte, nue, dans la rivière est orchestrée avec pudeur, intelligence et respect. C’est aussi le cas de la scène pendant laquelle Célestine apprend de sa grand-tante les techniques de la calligraphie, un art qui donne un nouveau sens à sa vie. Avec un pinceau, de l’encre noire et un rouleau de papier, les personnages grandeur nature qui sont alors identifiés par un masque s’attellent à la table de travail pour dessiner et représenter l’histoire. Celle de Dame Chizuko, tragique et brutale, est à l’inverse de son existence d’aujourd’hui, guidée par la résilience et la délicatesse.
Le voyage philosophique auquel Célestine s’abandonne vient nourrir ses valeurs. Elle recevra en héritage le coffret ancestral qui recèle les outils de calligraphie de Chizuko, lui rappelant la bonté et la sérénité de sa grand-tante. Son odyssée au pays du soleil levant lui apprendra également que, parfois, « il faut savoir garder le silence quand la parole est inutile ». Et dans ce texte, aucune parole ne semble superflue. Tout est dosé sur les plans visuel et auditif pour faire naître une sensation de plénitude, pour que le malheur se transforme en douceur. Chaque élément de la scénographie participe à un tout minutieusement organisé et orienté vers un même but. Cette œuvre, qui s’adresse autant aux adultes qu’aux jeunes enfants, est aussi apaisante qu’une séance de méditation. Une oasis de pur bonheur.
Crédit photo Mario Villeneuve
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Calendrier
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Du 5 au 23 avril 2022
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