100 secondes avant minuit : un éclairage sur l’urgence d’agir
100 secondes avant minuit : un éclairage sur l’urgence d’agir
Plus récente production de Pirata Théâtre, le spectacle 100 secondes avant minuit devait être présenté en janvier dernier Aux Écuries. Malheureusement annulé après déjà un report en raison de la pandémie, il peut désormais être visionné sur le web. Filmée lors d’un enchainement sans public, cette création de Michelle Parent fait coexister l’art avec le documentaire alors qu’elle offre à des artistes et des gens du public de se côtoyer sur scène le temps d’une performance. Dans une esthétique assez théâtrale, ce sont des discours brûlants d’actualité énoncés à coup de 100 secondes qui résonnent telle une multitude de mises en garde avant que minuit ne sonne.
La captation débute par une introduction de Michelle Parent qui explique brièvement la nature du spectacle ainsi que son contexte de développement pendant que l’affiche de la production figure à l’écran. L’espace scénique qui se révèle ensuite annonce déjà la théâtralité de la performance qui sera présentée. Six chaises munies de dispositif de pédales et positionnées en demi-lune, de laquelle un phonographe est le centre, entourent un cercle de lumière parfaitement délimité. Cette configuration donne l’impression d’être face à un immense cadran où les objets en sont les indicateurs de temps. C’est dans la simplicité du décor, des costumes et des accessoires choisis que les efforts déployés par l’ensemble de l’équipe de conception artistique pour mettre en valeur l’humain se remarquent. À cette intention s’ajoute un désir flagrant de présenter au public un univers unique en son genre. Chaque personne arrive sur scène avec une énergie et un caractère qui lui sont propres. Ceci permet à la performance de gagner en authenticité. Tous aussi attachants les uns que les autres, ces individus s’avèrent tous être d’excellents orateurs. Alors que chacun négocie différemment avec cette urgence de prendre la parole qui les unit, tous réussissent à offrir leur discours de manière nuancée et avec un aplomb saisissant. En sachant que certains d’entre eux ne sont pas nécessairement familiers avec le milieu des arts de la scène, le travail effectué en amont pour rendre le tout aussi naturellement mérite d’être félicité.
Comme tous paraissent être la proie d’une certaine crise existentielle, les propos tenus durant la représentation ne sont évidemment pas des plus légers. Les interventions plus naïves du comédien Gabriel Antoine Roy, le seul à s’identifier comme «comédien», parviennent bien à alléger la tension quelque peu. En comblant les silences trop lourds de sens, celui-ci sait se montrer suffisamment mystérieux et intrigant, par ses intentions plus ou moins claires, pour conserver l’intérêt du spectateur qui en aurait marre d’entendre parler de suicide ou de crise environnementale. Cela n’empêche pas la présence de certaines longueurs causées par cette accumulation de récits plus ou moins joyeux. S’il peut être difficile, pour le public, de se rattacher personnellement à certains d’entre eux, ces derniers donne l’occasion de constater la réelle tendance de la société à cacher une affreuse réalité pour promouvoir un idéal de bonheur pratiquement impossible à atteindre. Il faut reconnaître que la formule qui limite chaque prise de paroles à 100 secondes et qui implique la distribution dans la production d’éclairage à coup de pédale durant une grande partie du spectacle est d’une originalité des plus signifiantes. Au-delà du fait que le concept même attire les regards curieux, l’empressement qu’il génère rend la performance encore plus vraie. L’auditoire se retrouve face à des interlocuteurs toujours légèrement essoufflés par l’effort physique demandé pour assurer leur éclairage, rendant naturellement toutes leurs interventions plus éprouvantes. Telles des personnes ayant la conviction que leur discours peut aider à conscientiser les insouciants pour retarder l’inévitable, ils s’essoufflent à dire ce qui les importe tout en sachant que ce n’est qu’une question de temps avant qu’un son ne les interrompe pour indiquer la fin du chronomètre.
S’il y a bien une chose à retenir de la webdiffusion 100 secondes avant minuit, c’est le sentiment d’urgence palpable qui s’en dégage et sert magnifiquement bien les propos engagés énoncés. Sous la direction de Michelle Parent, les individus sur scène se livrent à une performance dont l’authenticité est poignante et dont le naturel attire l’empathie. Il est surprenant de voir l’aisance avec laquelle tous les témoignages sont rendus, malgré la présence de personnes issues du public parmi la distribution. Grâce à un brillant travail des concepteurs, cette création parvient à se servir intelligemment des arts de la scène pour faire entendre des fragments de la réalité populaire. Le visionnement de cette captation s’avère une belle façon de prendre le temps d’enfin réfléchir aux discours de ceux qui, depuis longtemps, sonnent l’alarme, mais ne se voient jamais donner raison.
Captation disponible jusqu’au 15 mai 2022.
Crédit photo : capture d’écran de la captation