Carrefour 2022 : Contes et légendes – Humains et humanoïdes en construction
Carrefour 2022 : Contes et légendes – Humains et humanoïdes en construction
Cinquième spectacle de Joël Pommerat à être présenté au Carrefour international de théâtre de Québec, Contes et légendes, une production de la Compagnie Louis Brouillard (Paris), est un objet théâtral tout à fait fascinant qui oscille sur le fragile équilibre entre la réalité et l’étrangeté à travers des scènes où des jeunes développent des liens affectifs plus stables et plus harmonieux avec des robots plutôt qu’avec leurs pairs ou leurs propres parents. Dans cette œuvre extrêmement bien rodée, l’auteur et metteur en scène explore le monde de l’enfance et de l’adolescence à travers plusieurs tableaux qui attirent l’attention sur les relations sociales et familiales, sur l’apprentissage et la construction de l’identité ainsi que sur les rapports entre la féminité et la masculinité.
C’est sur cette note que le spectacle commence, en présentant une vive altercation entre deux garçons et une jeune fille. La violence des propos misogynes tenus par les garçons reflète un certain discours de la rue que les adolescents en pleine crise existentielle utilisent pour se faire valoir et évacuer leur mal-être. On constate par la suite que cette dichotomie homme-femme est alimentée par les adultes eux-mêmes alors qu’une bande de garçons, pour la plupart à la demande de leur père, assiste à une formation sur les valeurs de la virilité. La hargne, la force, le courage, le combat, les muscles, les couilles, la domination et la maîtrise sont définis comme étant les qualités à acquérir et à cultiver pour être un homme.
Mais cette assurance que l’on souhaite inculquer aux jeunes garçons est aussi factice et artificielle que l’intelligence des robots androïdes conçus par la Société Altair, une multinationale américaine des technologies de l’information, sise au Michigan. Dans un des tableaux du début, un conférencier d’Altair vient présenter un nouveau prototype qui a pour fonction d’accompagner l’éducation des enfants et pallier l’insuffisance ou l’inaptitude des parents. Mais jusqu’où ces robots peuvent-ils se substituer aux parents ? C’est, émotivement parlant, une question que l’on se pose en tant que spectateur lorsqu’une mère, frappée par une maladie foudroyante, cherche à faire l’acquisition d’une de ces machines pour la remplacer après sa mort.
Au milieu de relations familiales complexes et agitées, le flegme et les marques d’affection préprogrammées des robots contrastent. L’attachement que les adolescents leur manifestent est-elle due à leur anthropomorphisme, à leur stabilité ou à leur complaisance ? Quoi qu’il en soit, elle est bien réelle et communicative puisque, dans une des scènes, on ressent le désarroi d’un jeune qui assiste à la déconnexion de sa machine, laquelle a été à l’origine d’un grave accident. Bien que son robot soit la cause de sa paraplégie, le garçon ne se résout qu’avec peine à la disparition de son fidèle compagnon.
Les contes et légendes futuristes de Pommerat et de son équipe sont interprétés avec une grande virtuosité théâtrale par une dizaine de comédiennes. Le féminin prime ici, car la distribution ne comporte qu’un seul homme qui endosse le rôle du père dans plusieurs tableaux. Tous les jeunes, qu’ils soient de sexe féminin, masculin ou humanoïdes sont incarnés par des femmes. Leur jeu est tellement convaincant, les perruques et les costumes si précis, qu’on croit vraiment avoir affaire à des adolescent-e-s.
Sur un plateau entièrement noir, la scénographie se contente au besoin de quelques meubles et accessoires, l’essentiel de l’univers fictionnel se concrétisant par la lumière, le son, le mouvement et la parole. Le fait que les voix soient amplifiées par des microphones permet d’obtenir divers effets sonores lorsque les robots s’expriment. Mais plus encore, cette particularité acoustique accentue l’impression d’étrangeté que l’on ressent tout au long de la représentation. Elle nourrit l’ambiguïté entre le possible et l’illusoire, entre le présent et le futur. L’utilisation dosée des microphones confère une teinte éthérée au récit et aux dialogues.
Créée en 2019, la fiction documentaire d’anticipation de Pommerat, Contes et légendes, est un véritable délice. La pièce qui a pris l’affiche plus d’une centaine de fois depuis sa création a fait l’objet de plusieurs mois de recherche, d’ateliers et d’improvisations. La fluidité du jeu et la maestria des interprètes sont sûrement tributaires de ce travail de longue haleine.
Le spectacle est présenté du 9 au 11 juin, au Théâtre Le Diamant.
Crédit photo Elisabeth Carecchio