PETITS BONHEURS 2016 : Au train où vont les choses… ; L’Avoir! Ode chantée au savon
La 12e édition de Petits Bonheurs, festival qui se dédie aux créations jeune public, s’est ouverte le 5 mai dernier. Daphné Bathalon et Olivier Dumas assisteront à une quinzaine de spectacles pour notre plus grand plaisir – et le leur!
Par Daphné Bathalon
Au train où vont les choses…
Le robot Boris vit dans un monde où les arbres sont faits d’engrenages, où les plantes poussent en tuyaux et où les petits robots, comme lui, portent en eux un amour qu’ils voudraient ne jamais voir flétrir.
Au train où vont les choses…, la nouvelle production des Chemins errants, allie théâtre d’ombres, marionnettes, poésie et musique pour nous faire entrer dans l’univers mécanique de Boris, une adorable marionnette aux grands yeux pleins d’interrogations. Sous sa peau métallique et ses pièces détachées, Boris a le cœur qui déborde tantôt d’émotions, tantôt de questions. « Peut-on tricoter le temps et s’en faire une écharpe pour les jours de grands froids? Si l’on suit son cœur, où va le corps? Est-ce que les plantes se posent aussi des questions? Est-ce qu’en grandissant on trouve les réponses? »
Boris captive d’emblée l’attention du jeune public, qui rigole tandis que le robot explore son environnement mécanique, s’occupe de ses plantes, s’étire le cou pour tout voir ou se déplace en équilibre sur un fil. Le train électrique qui file à vive allure crée de très belles ombres sur son passage et fait lui aussi frétiller de plaisir les petits spectateurs, qui en redemandent. La scénographie de cette troisième création des Chemins errants recèle de nombreuses autres surprises, qui contribuent à l’écriture de ce poème aussi visuel que sonore. La musicienne et bruiteuse Édith Beauséjour s’active aux côtés de la marionnettiste Karine Gaulin pour habiller l’univers de Boris : bruit de la pluie, métal des roues du train sur métal des rails, tournevis électrique, chalumeau… Les mots eux-mêmes forment aussi une mélodie.
Les deux créatrices de la compagnie basée à Lac-Mégantic confiaient, lors d’un café-causerie de Casteliers 2016, qu’Au train où vont les choses… est né du besoin de parler aux enfants de la tragédie survenue en juin 2012. Il y a bien sûr ce train au bruit assourdissant et au sifflet paniqué qui traverse et retraverse la scène, et dont l’ombre même effraie Boris. C’est que les parents du robot ont tous deux été happés par le monstre de ferraille, mais c’est à partir de cette féraille qu’il se reconstruit. Au cours de création, le spectacle s’est mis à parler beaucoup plus d’amour que de la tragédie, si bien qu’aujourd’hui, les liens entre la production et l’accident meurtrier de Lac-Mégantic sont bien ténus lorsqu’on ne connaît pas la démarche qui sous-tend Au train où vont les choses… Le regard que l’on porte sur le spectacle change beaucoup en ayant conscience de ce filigrane.
Cependant, le spectacle lui-même se révèle très abstrait par moments. À mi-parcours, le jeune public semble davantage attentif aux effets musicaux et à la mécanique du spectacle qu’au sens des questions soulevées par Boris et par son histoire. La trame narrative tient essentiellement à une succession de questions qui, peu à peu, dévoile l’histoire de Boris et sa grande solitude. Le lyrisme du spectacle, sa belle poésie, demeure finalement en suspens, et ce sont davantage les trouvailles musicales qui séduisent et restent en tête une fois la pièce terminée.
L’Avoir! Ode chantée au savon
Le savon, ce drôle de petit objet, parfois cubique, parfois oblong, tantôt sec, tantôt glissant, à la fois solide et soluble, et surtout qui sent si bon… Il avait bien besoin qu’on lui dédie un spectacle!
Le savon est la tête d’affiche de la création L’Avoir! Ode chantée au savon, un poème sonore pour les 18 mois à 3 ans, signé Laurent Dupont. Dans l’espace de jeu, les deux interprètes, avec leurs six bassines, deux mouchoirs, un drap et treize savons, s’emparent du fuyant objet pour en jongler, au fil de l’eau, liquide ou lumineuse. Tout de blancs vêtus, ils examinent les cubes de savon, s’en servent comme de craies, les font voler dans les airs, en tirent même des sons.
Spectacle presque sans paroles, L’Avoir! Ode chantée au savon se construit avant tout sur une trame sonore qui évoque le rythme de l’eau. D’abord, elle coule goutte à goutte, quand les interprètes s’échangent de courts sons, puis elle clapote, fait des bulles, avant de s’écouler de plus en plus fort et de plus en plus rapidement quand le débit des sons accélère, comme le torrent d’une cascade, et envahit tout l’espace.
Les blocs de savon quant à eux s’éparpillent ou se rassemblent au gré des déplacements que leur imposent les interprètes. Dans leurs gestes, on devine ceux du quotidien, faire la lessive, plier le linge, se laver… Aux sons qui stimulent les oreilles s’ajoutent les jeux de lumière, particulièrement réussis, qui fascinent ou font sourire à quelques reprises. L’eau est cette fois évoquée par la lumière, qui s’accumule dans les bassines ou s’empare d’un drap pour en faire une rivière.
Malgré sa beauté visuelle et sonore, cette ode chantée pêche un peu par froideur. Interprètes et jeunes spectateurs sont sur le même niveau, mais aucune interaction ne vient créer des ponts entre le poème et son public. Un choix étonnant compte tenu du public ciblé. Ce n’est qu’à la toute fin que l’apparition de mousse réveille l’attention des enfants, soudain très intéressés à tendre la main et à toucher les bulles de savon pour jouer, eux aussi.