Toronto – Une adaptation d’Antigone pour jeune public
par Jean-François St-Arnault, collaboration spéciale
Le Young People’s Theatre de Toronto (YPT) clôture sa 53e saison avec une adaptation contemporaine d’Antigone, la tragédie de Sophocle. Le texte de Jeff Ho s’inspire de deux mouvements de protestations étudiantes, soit la Révolution des parapluies de Hong Kong en 2014, connus aussi sous le nom de Occupy Central, et le Massacre de Tian’anmen, à Beijing en 1989. L’auteur et acteur, diplômé de l’École nationale de théâtre en 2013, fait preuve d’audace et de liberté et nous présente une nouvelle Antigone militante et revendicatrice sur la scène principale qui a été réaménagée pour l’occasion.
Au milieu de la salle, sur une scène de forme carrée, rappelant la place Tian’anmen, 8 interprètes nous transportent dans une Chine métaphorique et répressive dans laquelle quiconque remet en question la doctrine traditionnelle doit subir une « rééducation ». Devant le régime oppresseur de Créon, Antigone, en se portant à la défense de son frère, tient tête à son père. Le courage de la jeune femme devient symbole d’espoir pour le futur.
La co-mise en scène de Stephen Colella et Karen Gilodo jongle avec les signes et les symboles scéniques, autant au niveau de la distribution, de l’esthétique du jeu d’acteur, que par la scénographie minimaliste et criarde de Christine Urquhart. Le rouge, le noir et le jaune sont érigés en propagande militaire dans laquelle les parapluies font office de fusils, parfois de cadavres. Rappelons que Colella, qui est directeur artistique adjoint du YPT, ainsi que son conseiller dramaturgique principal, est aussi le président de l’Association internationale des théâtres pour l’enfance et la jeunesse (ASSITEJ).
Son défi : rendre accessible une tragédie grecque à un public de plus de 12 ans. En premier lieu, les libertés dramaturgiques que s’est permis l’auteur en s’éloignant du mythe original adoucissent le propos sanguinaire du fratricide. Le spectateur ne retrouvera pas les personnages d’Étéocle et Polynice qui sont absents du scénario. Hémon, fils de Créon, fiancé d’Antigone dans l’œuvre originale, devient le frère de celle-ci dans l’adaptation. Le conflit est dès lors déplacé vers une lutte intergénérationnelle. Le conflit moral de l’oeuvre originale qui, rappelons-le, raconte l’exécution de la fille d’Oedipe, roi déchu de Thèbes, par son propre oncle, s’en trouve « édulcoré ».
De plus, en féminisant le personnage de Tyrésias, interprété brillamment par Soo Garay, les créateurs touchent aux thèmes de l’identité de genre et de l’accessibilité. L’actrice campe le rôle du vieux sage avec une profondeur qui fait contraste avec le ton revendicateur des scènes de groupes.
Un autre contraste surgit sur scène dans les interventions de Christopher Allen, dont les ressorts comiques viennent rafraichir la scène d’éclats de rire. Garde de Créon qui doit obéir aux ordres, sa fine interprétation démontre sa grande maitrise des techniques du slapstick américain. N’hésitant pas à traverser les registres comiques et tragiques, il offre le point de vue de son personnage de manière juste, sensible et intelligente.
Des images superbes et porteuses d’espoir pour l’humanité se dévoilent sur la scène du YPT jusqu’au 16 mai prochain. Si l’audace de la proposition révèle quelques contradictions, elle a le mérite d’offrir au public une certaine « rééducation » sur l’oppression et l’inclusion des nouvelles générations.