FIAMS 2021 – Au deuxième jour, suivez les flèches
Pour cette deuxième journée, le FIAMS m’a réservé tout un programme, qui commence dès 9h30 avec les jolis mots et images de Sylvie Gosselin et se termine avec les concepts scientifiques savamment vulgarisés par Antonia Leney-Granger, tout en faisant un arrêt poétique pour les rêveries fantaisistes des Sages Fous. Un long parcours à la rencontre d’êtres iconoclastes issus d’esprits fertiles. En route!
Histoires d’ailes et d’échelles : Paul Klee à hauteur d’enfant
Apprendre à voir l’invisible, ça ne s’improvise pas. Il faut ouvrir les yeux, d’abord, et accepter de se laisser guider par son coeur et son imagination, ensuite. Un peu comme le faisait le peintre Paul Klee, que Sylvie Gosselin nous invite à découvrir dans Histoires d’ailes et d’échelles.
La comédienne et plasticienne accueille les enfants dans son décor de bric et de broc, enjouée à l’idée de leur présenter l’art de son ami Klee (ça se prononce comme clé!). De Klee, elle veut nous montrer les couleurs, les lignes, les textures, celles-là mêmes qui l’ont inspirée pour ce spectacle. Mais la flèche avec laquelle elle pointe les différents éléments des oeuvres développe rapidement une volonté propre, et entraîne l’artiste, et nous avec elle, dans l’univers du peintre.
En conteuse hors pair, Sylvie Gosselin capte l’attention des petits comme des grands en se mettant à leur hauteur pour expliquer les choses, sans simplifier ni édulcorer. Ses mots aux jolies sonorités transforment les oiseaux en bateaux, un tiroir de commode en chien qui parle l’accordéon, une planche à repasser en traîneau, et bien d’autres choses encore. L’artiste détourne la nature des objets et matériaux qui l’entourent pour bâtir un monde plus vaste, plus surprenant, un peu plus magique et surtout rempli de petites merveilles. Ses marionnettes donnent l’impression de naître d’un assemblage d’objets hétéroclites, surgissant soudain d’un nuage, d’un dessin, de petits cubes… Les castelets et chevalets forment quant à eux les paysages surréalistes et impressionnistes des oeuvres de Klee.
Toujours guidée, tirée, portée par sa flèche rebelle et curieuse, la conteuse explore, mine de rien, les thèmes chers au peintre. Sur les castelets improbables qu’elle a imaginés et conçus, Gosselin trace le portrait d’un père, d’un Icare, d’un rêveur à l’imaginaire peuplé de créatures ailées.
Pour voir l’invisible, il faut savoir bien regarder, nous confie l’artiste en fin de spectacle. Avec Histoires d’ailes et d’échelles, Sylvie Gosselin partage toute l’affection et la tendresse qu’elle éprouve pour cet invisible autour de nous, qui ne devrait jamais être enfermé derrière une porte qu’on n’aurait pas l’intention d’ouvrir.
Happening à La Baie
Du côté de La Baie, pour l’heure du lunch et sous un soleil écrasant, le FIAMS nous conviait à un happening marionnettique contrasté. Puisque, COVID oblige, les déambulatoires ne pouvaient déambuler parmi nous, ils se rendraient jusqu’à nous.
Cinq univers se sont côtoyés dans l’espace clôturé de l’Agora du Village portuaire. D’abord sont apparues les Kakous d’Imagicario, sorte de girafes curieuses dont j’avais déjà croisé la route la veille. Elles nous ont tenu compagnie jusqu’à l’arrivée klaxonnante du Castelet voyageur de la compagnie Le Crapaud Cornu. Piloté par un drôle d’énergumène qui se présente comme un chasseur de chaussettes (Carl Vincent), ce castelet parcourt apparemment le monde entier à la recherche des spécimens les plus rares. Le clown-magicien s’amuse allègrement aux dépens des adultes, taquine les enfants et met le public dans sa petite poche arrière en un rien de temps. Il a été suivi par deux explorateurs à la recherche d’un rare hibou géant. Le rêve du hibou, de LaboKracBoom, propose une jolie fable sur les rêves qui nous habitent. En plus de jongler avec des quilles et de jouer les équilibristes, les deux complices donnent vie à une belle et grande marionnette dotée d’yeux ronds comme des assiettes et qui recèle quelques surprises. Le happening s’est conclu par la visite du trio d’êtres magiques de La source d’or, une création des Chasseurs de rêve, et par celle du Grand Chaperon Rouge en personne (Julie Desrosiers), et de son adorable loup.
Tricyckle : Plongée intérieure
Par le voyage onirique d’un étrange conducteur de tricycle, Les Sages Fous nous invitent à nous laisser transporter dans un rêve sinueux et poétique. En suivant de mystérieuses flèches lumineuses, le personnage incarné par l’acteur et marionnettiste Jacob Brindamour nous sert de guide dans un dédale fantaisiste aux allures de cirque d’un autre temps.
C’est le paysage musical imaginé par Christian Laflamme qui charme d’abord avec ses notes tantôt douces, proches de la berceuse, tantôt inquiétantes comme dans un rêve qui tourne au cauchemar. L’ambiance sonore nous accompagne d’un bout à l’autre de cette traversée qui nous plonge, nous aussi, dans une bienveillante torpeur.
Dans cet état de demi éveil, où tout paraît possible et même normal, le sage-fou au tricycle tire mille et une merveilles de son véhicule vieillot. Ses boîtes se transforment en coffre énigmatique qui refuse de révéler son contenu, en berceau pour l’enfant à naître, en véritable ville qui illumine la nuit ou en fête foraine. Dans cette mise en scène de South Miller, le tricycle lui-même connaît quelques métamorphoses, devenant aussi bien grande roue que toile d’araignée, partenaire de danse ou monstre indomptable.
En soixante minutes, la production, créée en 2017 mais largement remaniée depuis, offre un bel éventail de marionnettes. Brindamour joue habilement avec les ombres qui concourent à façonner cet univers onirique. Il donne vie à son petit alter ego en maniant ses petites tiges aussi bien qu’à une magnifique quoique glaçante araignée à partir d’un gant.
Malgré la sinuosité inhérente au monde des rêves, le spectacle sans paroles nous entraîne sans heurt d’une pensée à l’autre, de la naissance aux premiers amours et obstacles jusqu’à la métamorphose en papillon et l’envolée finale. Brindamour manipule les objets avec grand soin et précision. Si on peut se questionner sur la pertinence de briser le quatrième mur en faisant sortir l’araignée du cadre symbolique du rêve et de la scène, l’agilité du comédien à nous faire monter avec lui dans cette fête foraine est indéniable.
Un amoncellement de boîtes qui se transforme en ville nocturne dans la lumière artificielle des édifices, des rideaux rapiécés qui créent un véritable cocon autour de nous : la proposition des Sages Fous se reçoit comme une parenthèse paisible, étrange et surtout porteuse de trouvailles visuelles qui demeurent à l’esprit après la représentation comme les vestiges d’un rêve agréable qui s’estompe au réveil.
Une brève histoire du temps : un exposé inspiré
C’est à travers le temps et l’espace que la créatrice et interprète Antonia Leney-Granger nous invite à voyager dans Une brève histoire du temps. Entourée d’une panoplie d’objets qui lui servent à donner la parole aux figures marquantes de l’histoire de la physique, et à simplifier des théories parfois terriblement abstraites pour qui n’est pas un génie des mathématiques, l’artiste s’applique à nous transmettre sa passion pour les sciences.
La production, décalée et assumée, vulgarise des concepts physiques et astrophysiques complexes à grand renfort d’exemples amusants et de manipulation d’objets tout droit sortis d’un magasin à un dollar. Einstein prend ici les traits d’un troll à la chevelure improbable, Galilée se présente sous la forme d’une boule de 8 coiffée d’une perruque, et un simple rouleau de papier de toilette symbolise efficacement le précurseur Aristote.
Avec ces quelques objets épars, qui vont de la boîte d’oeufs aux cuillères de plastique, c’est l’évolution de la pensée scientifique sur des siècles d’histoire que l’artiste nous résume joyeusement sur un ton décontracté, malgré quelques blagues qui tombent à plat. L’humour fait d’ailleurs tout le sel de cette Brève histoire du temps, avec une mention spéciale aux pastiches de chansons des Beatles pour expliquer les lois de la physique, des ritournelles qui restent bien en tête! La personnalité sympathique de cette conférencière originale incarnée par Leney-Granger et sa maîtrise du sujet font le reste. Il faut dire que la créatrice développe et promène ce spectacle depuis quelques années déjà, sous le mentorat artistique de Francis Monty et d’Olivier Ducas (Théâtre de la Pire Espèce).
De la conception antique de l’espace aux calculs savants d’Edwin Hubble ou d’Albert Einstein, en passant par la révolution de la pensée copernicienne, les lois de la physique développées par Galilée, sans oublier, bien sûr, les travaux de l’astrophysicien Stephen Hawkins, qui ont inspiré Leney-Granger et auxquels le titre de la production du Théâtre du Renard fait référence (mais qu’on ne nomme bizarrement pas dans le spectacle) : le tour d’horizon est imposant et forcément succinct. De fait, on se désole de la précipitation avec laquelle certains sujets sont traités quand il ne s’agit pas carrément d’un léger survol.
L’artiste devrait se faire confiance et faire confiance au public, dont elle sait bien capturer l’intérêt, et prendre le temps d’approfondir ses sujets. Bref, cette brève histoire est beaucoup trop brève!