Rita au désert : entre le bruit des machines et celui des mots
Rita au désert : entre le bruit des machines et celui des mots
Lucien Champion, journaliste sportif d’un journal hebdomadaire sans envergure, est obsédé par l’idée de raconter la vie et les exploits de Rita Houle, de son ascension du poste de réceptionniste pour une compagnie qui avale ses clients mécontents, à celui d’unique pilote canadienne dans un rallye automobile traversant le désert de Gobi, immense, dangereux, meurtrier même…
Roger La Rue brille dans Rita au désert, court roman d’Isabelle Leblanc adapté ici pour la scène. Dans cette production du Théâtre de l’Opsis, où il est quasi seul en scène pendant près d’une heure trente, l’acteur manie le verbe, l’accent et la manière de main de maître. Il passe avec aisance du ton traînant de l’employé peu motivé au lyrisme de l’auteur en pleine envolée. Sa muse récalcitrante, Rita Houle, 53 ans, héroïne véritable ou fantasmée, occupe toutes les pensées de l’apprenti biographe. À travers elle, il assouvit son besoin de laisser au monde une grande oeuvre, une trace de sa propre existence.
La scénographie de Max-Otto Fauteux, ainsi que les conceptions sonore (Eric Forget) et vidéo (Julien Blais) créent l’écrin tout indiqué pour illustrer l’univers étriqué duquel Lucien cherche à s’échapper, comme son héroïne, et dont il élargit les contours grâce aux péripéties qu’il relate.
La Rue incarne la passion de l’écrivain qui franchit, d’abord avec une certaine retenue puis de plus en plus allègrement, la frontière entre le réel et l’imaginaire. Sa fièvre créatrice grandissante l’enflamme au fil de son récit, au point où il se départit peu à peu de son uniforme de travail informe, ce costume dont il ne veut plus, alors que son histoire s’emballe, affranchie du carcan imposé par la plate réalité. L’acteur donne voix aux doutes de son personnage, à sa frustration quand sa muse lui résiste, puis à son sentiment de liberté créatrice. « Je revendique le droit des mondes possibles contre le monde existant, pour sauver ce qui n’a jamais existé » déclare le personnage en s’appropriant la Rita Houle qu’il a créée.
Rita au désert nous emporte dans une foisonnante réflexion sur le rôle du créateur et de ses pouvoirs sur la réalité. Le biographe finit d’ailleurs par ne plus s’embarrasser des limites de celle-ci… La production quant à elle s’encombre par moments d’ajouts superflus, surtout avec un acteur aussi investi. La présence de Rita à tous les instants dans les pensées et les mots de Lucien suffisait à la faire apparaître sur scène sans qu’il soit nécessaire de lui donner corps, par exemple. La figure silencieuse et rigide de Rita (Alexandrine Agostini, à qui l’on donne bien peu de matière) détourne notre attention de la bataille intérieure de Lucien. Une bataille forte, prenante, dans laquelle on plonge en retenant presque notre souffle.
La production fait voir et entendre, à travers les mots de l’autrice et de son alter ego sur scène, la puissance de la fiction, qui l’emportera toujours sur le réel, car elle permet de rêver, de s’évader et d’atteindre une certaine forme d’immortalité.
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Calendrier
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Du 16 novembre au 4 décembre 2021
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