Par Daphné Bathalon

« Une voix, immatérielle et vraie, comme le souvenir, comme l’amour.* »

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© David Ospina

Un homme, fin de la quarantaine, entre dans une chambre, la numéro 7, d’un immeuble abandonnée et, par son entrée, déclenche le mécanisme qui fait résonner la voix, sa voix à elle, la voix de Claire Bonaparte. Oh, nous assure-t-elle d’emblée, ce n’est pas son vrai nom, il est un peu pompeux et sonne comme un nom de photo-roman. C’est celui qu’elle a pris pour s’inscrire sur le registre de l’immeuble, au moment de laisser sa trace. L’homme, un employé d’UPS, est troublé par cette voix enregistrée, comme si elle lui parlait directement. À lui. Il s’agit pourtant d’une installation, d’une créature de fiction (mais l’est-elle vraiment?) inventée par une jeune artiste nommée Zoé Wandorsky et incarnée par une ancienne comédienne de théâtre.

La cantate intérieure raconte la rencontre entre cette artiste et cet homme, entre l’artiste et son public. Dans un premier temps, ils ne semblent pas parler le même langage. L’homme ne connaît rien à l’art, ne s’y intéresse pas; seule la femme, Claire Bonaparte, l’a fait dévier de sa route pour l’attirer dans cette chambre. L’artiste, elle, parle de prise de position sociale, de senseurs, de bande enregistrée… Elle veut surtout savoir pourquoi l’homme est revenu plusieurs fois dans la chambre pour entendre le même enregistrement. D’abord, il refuse de répondre, mais quand la bande repart, il craque : « C’est moi, c’est ma vie, ma part manquante. »

Sébastien Harrisson, qui en était à sa première participation au Jamais Lu, a proposé un texte beaucoup plus philosophique que plusieurs autres textes au programme. Sa Cantate intérieure prend même les allures d’une introspection de l’artiste, de l’auteur lui-même. L’artiste cherche-t-il à parler au public, à le toucher ou souhaite-t-il simplement être reconnu et admiré? Est-ce une manière de se protéger?

À la mise en lecture, Alice Ronfard a fait un délicat ciselage du texte, dosant bien le travail de la voix et des émotions de ses comédiens, et n’hésitant pas  à placer quelques silences. Dorothée Berryman était toute désignée pour le rôle de Claire Bonaparte. Sa chaude et magnifique voix convenait parfaitement à cette femme mystérieuse, qui a préféré abandonner un enfant pour éviter l’ennui et choisir l’aventure. La voix grave de Stéphane Jacques, l’homme, et celle, vibrante, de Marie Bernier, l’artiste, complétaient à merveille la distribution. Même la voix du narrateur, Jean-François Pronovost, se glissait sans accroc dans le tableau. Pour tout dire, il suffisait de fermer les yeux pour apprécier pleinement l’ensemble, comme on l’aurait fait pour un radio-théâtre à une autre époque, et se laisser bercer par les voix.

Le texte de Sébastien Harrisson évoque tant le décor que l’ambiance, dans un style accrocheur, et nous entraîne tout doucement vers les questions existentielles des personnages. On se surprend au fil de la lecture à capter des phrases, à vouloir les retenir pour mieux les goûter. Pas de doute, La cantate intérieure se lirait tout aussi agréablement qu’elle s’est faite entendre au Jamais Lu. Pas facile d’approche, mais il faut reconnaître qu’une fois les voix éteintes, elles continuent à nous habiter. Merci au festival d’avoir osé un tel texte!

« Ce besoin de ma voix te retient. […] Je me suis logée en toi. »

*Toutes les citations ont été notées à la volée au cours de la lecture.

 

La cantate intérieure

De Sébastien Harrisson
Mise en lecture : Alice Ronfard
Distribution : Marie Bernier, Dorothée Berryman, Stéphane Jacques et Jean-François Pronovost

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